La Contribution Exceptionnelle sur la Fortune ne violait pas la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme
(CEDH 12 mai 2022, D. c. France, requêtes n° 39917/21 et n° 39832/21)
On se souvient que l’année 2012 a été marquée par un changement de majorité présidentielle. Lors de la dernière année de présidence de Nicolas Sarkozy, l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF) avait été refondu afin de le simplifier. La loi de finances rectificative pour 2011 n° 2011-900 du 29 juillet 2011 supprimait ainsi les mécanismes de plafonnement avec en contrepartie l’abaissement très sensible du barème de cet impôt : deux tranches, la plus haute au taux de 0,5 %.
Avec l’élection de François Hollande, la nouvelle majorité a immédiatement voulu marquer son opposition à la politique fiscale définie par l’ancienne en s’attaquant au très symbolique ISF. Afin de revenir au plus vite sur les dernières réformes, le nouveau gouvernement a fait voter à la hâte un complément d’impôt sur la fortune rétablissant le barème antérieur à la loi de finances pour 2012 sans toutefois prévoir de mécanisme de plafonnement. C’est ainsi que la Contribution Exceptionnelle sur la Fortune (CEF) est née le 16 août 2012.
Le législateur, conscient du caractère rétroactif de la CEF et de l’atteinte que portait le rétablissement du barème antérieur sans application d’un quelconque mécanisme de plafonnement au principe d’égalité devant les charges publiques, a considéré que la distinction entre la CEF et l’ISF ainsi que le fait de s’engager à ce que la CEF ne soit appliquée qu’à la seule année 2012 suffisait à écarter ces atteintes.
Le Conseil constitutionnel aurait pu être un rempart contre ces atteintes : l’article 13 relatif à l’égalité devant les charges publiques aurait pu lui servir de support pour sanctionner ce qui a constitué pour les quelques contribuables qui se trouvaient ainsi à payer une somme d’impositions supérieures à leurs revenus de l’année précédente une spoliation pure et simple. Il a toutefois choisi de suivre le raisonnement de législateur. Dans une décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012 où il a affirmé que la suppression des mécanismes de plafonnement intervenue sous la précédente majorité n’a été rendue possible qu’en raison de la baisse concomitante du barème de l’ISF, sous-entendant ainsi que le mécanisme de plafonnement est nécessaire au respect du principe d’égalité devant les charges publiques, il a néanmoins écarté ce principe s’agissant de la CEF au motif qu’elle était mettait en oeuvre la politique fiscale du nouveau gouvernement et qu’elle était « non renouvelable ». Bref, on vous spolie, mais ce n’est pas si grave dès lors que ça n’arrive qu’une fois !
Leurs espoirs déçus par la décision du Conseil constitutionnel, les contribuables se sont tournés vers les juridictions du fond afin de déplacer le débat sur le terrain européen. Ils ont ainsi invoqué l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme qui garantit le droit au respect des biens pour demander la condamnation de la France pour la spoliation dont ils avaient fait l’objet, à hauteur de la CFE qu’ils avaient acquittée pour la part qui excédait leurs revenus de l’année 2011. Les enjeux politiques étant loin derrière, nous pensions que le débat se recentrerait sur les notions juridiques et l’atteinte flagrante que représentait la CEF pour certains de nos clients, leur imposition s’élevant parfois à 10 fois leur revenu fiscal de référence.
Les juges du fond puis la Cour de cassation nous ayant donné systématiquement tort (Cass. Com., 2 décembre 2020, n° 18-26.480), nous avons saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH).
La Cour n’a hélas pas été sensible à cet argument et a sèchement rejeté sans débat nos recours, considérant qu’il n’y avait « aucune apparence de violation des droits et libertés énumérés dans la Convention ou ses Protocoles », de sorte que nos requêtes étaient irrecevables.
Ces décisions envoient un message clair tant aux législateurs des États partis à cette Convention qu’à leurs contribuables : les États ont licence de les spolier, pourvu que ce soit exceptionnel. Au moment où tout le monde se demande comment sera remboursée la dette COVID-19, les contribuables ont un élément de réponse et il n’est pas rassurant…