(CE 1er juillet 2025, n° 491706)

On se souvient que par une décision du 7 mars 2019 (n° 420094), le Conseil d’Etat avait jugé, de manière surprenante pour certains, que lorsqu’une société à qui un contribuable avait apporté des titres en sursis d’imposition (article 150-0B du CGI) diminuait ultérieurement son capital en réduisant la valeur nominale des titres apportés, le bénéfice réalisé par le contribuable n’était pas considéré comme un revenu distribué au sens de l’article 112-1° uniquement à concurrence des apports initialement consentis par cet associé à la société dont il a ensuite apporté les titres à la société qui réduit son capital.

Ce faisant, le Conseil d’Etat avait fait preuve d’une bonne dose de constructivisme pour combler un « trou dans la raquette » qui était apparu lors de la création du mécanisme du sursis d’imposition en 2000 et qui faisait dire à certains que cette opération ne pouvait pas être taxée si la société qui réduisait son capital ne disposait d’aucun bénéfice en instance d’affectation ni de réserves au passif de son bilan. Cette lecture combinait le principe du sursis de l’article 150-0B, dont l’application était confirmée, avec l’assiette de l’article 112-1°, qui était en quelque sorte élargie pour intégrer la situation des contribuables ayant bénéficié d’un sursis d’imposition. Ce n’était donc pas l’état des bénéfices et réserves au bilan de la société bénéficiaire de l’apport dont le capital était réduit qu’il fallait considérer, mais l’état des apports du contribuable à la société dont les titres avaient été apportés.

Néanmoins, les juges du fond continuaient à résister en se livrant à une lecture littérale des textes qui, force est d’en convenir, ne prévoyaient pas clairement – c’est le moins que l’on puisse dire – l’assiette de cette taxation. C’est ainsi que la Cour Administrative d’Appel de Paris, suivant les premiers juges, avait annulé le redressement d’un contribuable ayant procédé exactement à la même opération (CAA Paris, 15 décembre 2023, n° 21PA01639).

Le Conseil d’Etat est obligé d’enfoncer le clou pour rappeler sa lecture personnelle de l’article 112-1° en fixant le prix de revient fiscal des titres annulés au « rapport formé, au numérateur, par le prix versé pour acquérir les titres apportés et, au dénominateur, par la valeur à laquelle l’apport fait par l’associé a été enregistré dans les livres de la société qui en a bénéficié ».

L’affaire concernant l’un de nos plus riches contribuables, les chiffres donnent quelque peu le tournis puisque l’impôt rétabli s’élève à plus de 30 M€. Mais plus que les chiffres, c’est le principe rappelé par notre juge suprême qui suscite la perplexité, voire l’inquiétude. Alors que le champ d’application de l’impôt est une prérogative réservée par la Constitution au législateur, on ne peut que s’émouvoir de constater que le Conseil d’Etat n’hésite pas, en présence de textes mal rédigés, à interpréter la loi de manière téléologique pour permettre de sauver la taxation d’un contribuable trop habile.