(TJ Compiègne 2 septembre 2025, n° 24/00911)

On sait que depuis quelques années, sous l’influence du droit européen, la notion de but principalement fiscal a fait une entrée fracassante dans notre droit. Initialement cantonnée à la fiscalité directe européenne (la clause anti-abus de la Directive Distributions, puis la Directive ATAD), elle a été généralisée par le législateur avec l’entrée en vigueur en 2019 de l’article L 64 A du LPF.

Parallèlement, le législateur a introduit cette notion en matière d’Impôt sur la Fortune Immobilière pour tempérer l’application des règles anti-abus en matière de déduction des prêts : dans certaines hypothèses énumérées à l’article 974 du CGI, un prêt peut néanmoins être déductible si le contribuable établit qu’il n’a pas été contracté dans un but « principalement fiscal ».

La notion de « but principalement fiscal » ayant agité la doctrine privée comme les craintes des contribuables, nous attendions avec impatience les premières décisions rendues par les juges du fond pour voir quel scénario allait se dégager. C’est chose faite avec le Tribunal Judiciaire de Compiègne qui vient de se prononcer en matière d’IFI sur la déduction d’une dette contractée lors de la cession d’un immeuble par le redevable à une société qu’il contrôlait (article 974-IV. 4°).

Et fort heureusement, au terme d’un raisonnement qui fait litière de la position que l’administration soutenait en invoquant sa propre doctrine (BOI-PAT-IFI-20-30-30 et BOI-CF-IOR-30), le juge refuse d’apprécier cette notion en termes financiers. Il confirme ainsi ce que nous pensions lorsque l’article L 64 A a été commenté pour l’administration (https://blog.bornhauser-avocats.fr/2019/02/quelques-considerations-sur-le-mini-abus-de-droit-fiscal/), à savoir que le raisonnement qui prévaut en matière de fiscalité des entreprises et qui vise à quantifier en termes monétaires les avantages fiscaux et non fiscaux pour les comparer n’est absolument pas transposable en matière de fiscalité du patrimoine.

Le fait que cette position ait été prise en application de l’article 974 du CGI mérite également d’être souligné car contrairement au texte général de l’article L 64 A du LPF où l’administration supporte la charge de la preuve, celle-ci reposait ici sur les épaules du contribuable. Et force est de constater que le juge a en l’espèce fait preuve d’une grande indulgence envers ce dernier, qui justifiait la vente à soi-même réalisée 3 ans avant la donation (intervenue comme par hasard juste après le début du contrôle du contribuable, mais il est vrai que la crise sanitaire était passée par là) par la nécessité « de mieux équilibrer les patrimoines des époux pour faciliter les opérations de transmission futures ». Difficile de trouver une justification plus bateau…

Espérons que le rejet de l’approche purement mathématique de la notion de « but principalement fiscal » sera confirmé par les juridictions supérieures et que celles-ci sauront faire preuve de la même largeur de vue quant à la pertinence des justifications non fiscales avancées par les contribuables. Mais si cette décision prospère, il est clair que le mini-abus de droit fiscal s’en trouvera littéralement dévitalisé. Du moins devant le juge judiciaire…