Les détenteurs d’un patrimoine important constitué de biens immobiliers peuvent difficilement ignorer qu’ils sont les grands oubliés des dernières réformes de la fiscalité : ils ne bénéficient ni de la suppression de l’impôt sur la fortune, celui-ci ayant été recentré sur les seuls biens immobiliers, ni de la « flat tax », celle-ci n’étant pas applicable aux revenus fonciers qui, compte tenu de l’augmentation de la CSG, peuvent désormais être assujettis à une imposition maximale de 66,2 %.

Ces propriétaires fonciers pouvaient néanmoins trouver une consolation dans le maintien, pour l’impôt sur la fortune immobilière, d’un mécanisme de plafonnement des impositions à 75 % des revenus. On rappelle que ce mécanisme, élevé au rang de garantie constitutionnelle en 2012 (Décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012),impose en principe au Législateur de limiter la somme de l’impôt sur la fortune et des impôts dus au titre des revenus et produits de l’année précédente à une fraction totale de ces revenus.

Cette mécanique, pourtant bien huilée, connaîttoutefois unhoqueten 2019, quiconduira beaucoup de contribuables à s’acquitter d’une imposition supérieure à leurs revenus, sauf à contester (ce que nous recommandons) la validité des règles mises en œuvre par l’administration fiscale.

L’application habituelle du mécanisme du plafonnement

Prenons l’exemple d’un contribuable détenant un patrimoine immobilier de 20 millions d’euros et imaginons (sur la base d’une rentabilité optimiste) que ce patrimoine lui procure un revenu foncier net avant impôt de 500.000 €. 

Notre contribuable va en premier lieu devoir s’acquitter d’environ 300.000 € d’impôt sur le revenu et autres contributions sociales sur ces revenus. 

L’Impôt sur la fortune immobilière, qui doit venir s’ajouter à la note, devrait normalement s’élever à environ 250.000 € compte tenu du tarif de l’IFI appliqué à un patrimoine imposable de 20 millions d’euros.

Cela aboutirait toutefois à une situation confiscatoire, car le contribuable devrait ainsi s’acquitter d’un total de 550.000 € d’impôts (300.000 + 250.000) avec un revenu disponible de 500.000 €…

Le mécanisme du plafonnement permet précisément la limitation du total des impositions à 75 % du revenu disponible de 500.000 €, soit 375.000 €. Ce plafond de 375.000 € étant déjà payé sous forme d’IR-CSG à hauteur de 300.000 €, la cotisation d’IFI sera limitée aux 75.000 € restants (au lieu des 250.000 € qui résulteraient du calcul non plafonné de l’IFI).

Le problème spécifique de l’année 2019

Les contribuables habituellement concernés découvrent avec stupeur qu’ils ne pourront pas bénéficier de ce dispositif en 2019. La raison en est simple : l’impôt et les contributions sociales afférents aux revenus de l’année 2018 ont été neutralisés par un crédit d’impôt (le CIMR) dans le cadre de « l’année blanche ». Du point de vue de l’application du mécanisme du plafonnement, les revenus de l’année 2018 sont donc considérés comme demeurant pleinement disponibles pour le paiement de l’IFI 2019.

Or, cette situation ne serait exempte de critique que si les contribuables n’avaient pas également à s’acquitter, au cours de l’année 2019, d’acomptes « contemporains » représentatifs de l’imposition de leurs revenus de l’année 2019.

Reprenons l’exemple de notre contribuable qui reçoit 500.000 € de revenus fonciers par an et examinons sa situation de trésorerie au cours des années 2018, 2019 et 2020 :

En 2018, il s’est acquitté d’une imposition de 375.000 € décomposée comme suit :

  • 300.000 € au titre de l’IR-CSG calculée sur ses revenus 2017 de 500.000 €;
  • 75.000 € au titre de l’IFI 2018 plafonné en fonction des revenus de 2017 (plafond de 500.000 x 75 % = 375.000 €, diminué des 300.000 € déjà acquittés sous forme d’IR-CSG).

En 2019, il va s’acquitter d’une imposition de 550.000 €

  • 0 € au titre de l’IR-CSG calculée sur ses revenus 2018 (« année blanche »);
  • 250.000 € au titre de l’IFI 2019 non plafonné. Le plafond est en effet calculé par référence aux revenus de l’année 2018 et n’est déjà « consommé » par aucune imposition afférente aux mêmes revenus. L’IFI est donc celui qui résulte du calcul normal opéré sur la valeur du patrimoine;
  • 300.000 € à titre d’acomptes contemporains dus sur les revenus de 2019 (ces derniersétant réputés égaux aux revenus de 2018 dans l’attente du dépôt de la déclaration des revenus 2019 en 2020).

En 2020, le contribuable s’acquittera à nouveau d’une imposition globale de 375.000 € :

  • 300.000 € d’IR-CSG à titre d’acompte sur les revenus 2020;
  • 75.000 € d’IFI 2020 calculés sur la base d’un plafond déterminé en fonction des revenus 2019 et sur lequel s’imputeront les 300.000 € payés en 2019 au titre de ces revenus.

Il en sera de même les années suivantes.

Il est donc manifeste que le contribuable va subir en 2019 une véritable ponction, qu’il n’aura jamais vocation à récupérer. 

Motifs de contestation

Il nous semble que les contribuables ne pouvant pas bénéficier du plafonnement de l’IFI cette année pourraient invoquer une différence de traitement non justifiée par rapport aux autres contribuables qui bénéficient, eux, de manière effective de « l’année blanche » leur permettant de ne pas subir la double charge de trésorerie consistant à s’acquitter en 2019 d’une somme représentative à la fois de l’impôt sur leurs revenus 2018 et d’acomptes sur leurs revenus 2019.

D’autre part, ces contribuables subissent une charge fiscale confiscatoire puisqu’ils peuvent devoir débourser un impôt supérieur à leurs revenus, les obligeant à aliéner leur capital.

Ces effets pourraient donc constituerune rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.

Action préconisée

Les contribuables qui seraient tentés de plaider leur cause personnelle directement devant leur service des impôts risquent de se heurterà un refus de l’administration fiscale qui considérera (et elle aura raison) qu’elle a fait une application parfaitement exacte des lois en vigueur. Les contribuables pourront alors toujours tenter d’élever le litige devant le juge judiciaire, mas on connaît malheureusement le peu de velléités de ce dernier à reconnaître le caractère confiscatoire d’une imposition (il en va ainsi de la récente décision du 27 juin 2019, n° 18-13.370,relative à la contribution exceptionnelle sur la fortune de sinistre mémoire instituée en 2012).

Nous préconisons plutôt, comme nous en avons l’habitude, la saisine du Conseil d’Etat dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la doctrine fiscale BOI-PAT-IFI-40-30-10 n° 130 paragraphe 4, laquelle prévoit explicitement que le CIMR vient en diminution du montant des impôts à prendre en compte pour le calcul du plafonnement de l’IFI 2019. Ce recours devrait bien entendu être assorti d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) visant à critiquer les effets de la loi en vigueur au regard du principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques.

Notre cabinet se tient bien entendu à la disposition de tout intéressé pour engager un tel recours.