La Chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu le 4 mars 2020 un arrêt important (n°18-11.120) en ce qui concerne la taxation aux droits de donation intervenue à l’issue d’une réponse du donataire à une demande de l’administration (du bureau ou dans le cadre d’une procédure de contrôle fiscal plus contraignante type ESFP). 

Les époux V ont subi une procédure de contrôle des revenus au titre de la période 2008 à 2010. Ils ont été classiquement interrogés sur certains flux financiers figurant au crédit de leurs comptes bancaires et ont fait part des conditions dans lesquelles Madame X leur avait remis des œuvres de peintres. Le produit de la vente de certaines de ces oeuvres a été implacablement identifié par le service de contrôle et taxé, in fine, au titre de dons manuels pourtant involontairement révélés, selon le premier moyen du pourvoi soumis à la Cour, au sein de leur réponse et au regard du dépôt contraint d’une déclaration n° 2735 suite à mise en demeure.  

Dès lors, l’interprétation de la notion de révélation contenue dans le texte de l’article 757 du Code Général des Impôts (CGI) devrait-elle conduire à faire primer le caractère spontané ou subi de la révélation ? En d’autres termes, seule une révélation à l’initiative du seul donataire était-elle nécessaire pour imposer les valeurs aux droits d’enregistrement ou une réponse contrainte suite à une action de l’administration suffisait ? 

Pour l’administration fiscale, cela ne faisait aucun doute : une simple réponse à son questionnement valait révélation. Sa doctrine contenue au BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10 prévoit que… « En vertu des alinéas 1 et 2 de l’article 757 du CGI, pour être imposable, le don manuel doit être révélé à l’administration fiscale par le bénéficiaire de la mutation : 

  • soit spontanément ;
  • soit en réponse à une demande de l’administration ;
  • soit au cours d’une procédure de contrôle ou d’une procédure contentieuse. »

Cette conception élargie de la notion de révélation a d’abord été validée par la jurisprudence. En effet, la Cour de cassation considérait que l’examen des écritures comptables d’une association par un vérificateur permettait de révéler les dons manuels inscrits dans cette comptabilité (Cass.com.5-10-2004 n° 03-15.709 FS-PB). La Haute juridiction justifiait également une telle révélation de dons lors de la présentation de ses comptes bancaires par un contribuable faisant l’objet d’un examen de situation fiscale personnelle (Cass.com. 4-10-2011 n° 10-23.230 F-D). 

Toutefois cette interprétation a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme en juin 2011, qui a jugé dans l’affaire des Témoins de Jéhovah que la taxation des dons découverts lors d’un contrôle fiscal constituait une violation de la convention des droits de l’Homme pour imprévisibilité de la loi fiscale (CEDH 30 juin 2011 n° 8916/05, Etude B. Hatoux,Doyen honoraire à la Cour de cassation, Liberté de Pensée, de Conscience et de Religion et Taxation). 

Tirant les conséquences de cette décision, la Cour de cassation a abandonné sa jurisprudence antérieure en validant l’arrêt de la cour d’appel qui avait… « déduit à bon droit que la procédure de vérification de comptabilité mise en œuvre ne pouvait être le support de l’appel des droits de donation » (Cass. com. 15 janvier 2013 n°12-11.642 Association l’Arche de Marie).  Cette position était renouvelée dans son arrêt du 6 décembre 2016 (n° 15-19.966 F-PB, Association Shambhala) au visa de l’article 757 du CGI suite à des divergences d’appréciation du TGI comme de la cour d’appel de Limoges. 

Dès lors, la révélation ne pouvait donc résulter ni de la présentation obligatoire de documents dans un contrôle ni de la réponse apportée par le contribuable à une question de l’administration. 

Mais l’article 635 A du CGI fixant le délai de déclaration ou d’enregistrement incombant au donataire ayant révélé le don a été complété par la loi du 29 juillet 2011 de finances rectificatives pour 2011 de deux alinéas dont un renvoie expressément à la… « révélation qui est la conséquence d’une réponse du donataire à une demande de l’administration ou à une procédure de contrôle fiscal », soit peu de temps après la condamnation prononcée par la CEDH le 30 juin 2011. 

Les conclusions de Madame l’avocat général Anne-Marie Batut avant l’arrêt Association l’Arche de Marie du 15 janvier 2013 portaient déjà en germe l’interprétation qu’a dû adopter la Cour de cassation dans son arrêt du 4 mars 2020 : « La question de savoir si la modification [de l’article 635 A du CGI] a créé ou non un nouveau cas de révélation, de sorte que sa définition serait autonome. (…). Mais à supposer même que le cas de révélation conséquence d’une procédure de contrôle fiscal visée à l’article 635 A soit autonome et donc distinct de celui visé à l’article 757, le droit conventionnel devrait prévaloir. Dans cet optique, la loi nationale encourrait le grief d’aléa et donc d’imprévisibilité dans l’application de la loi fiscale retenu par la Cour européenne ».

Le présent arrêt recourt à l’application combinée des deux articles en jugeant que… « la cour d’appel en a exactement déduit que la réponse des contribuables valait révélation au sens des articles 635 A et 757 du code général des impôts ».

La Cour de cassation juge donc que les dispositions de l’article 635 A du CGI, dans sa version issue de la loi du 29 juillet 2011, ne se limitent pas à une question de fixation de délais de déclaration des dons manuels révélés dont le montant est supérieur à 15.000 €, mais permettent l’imposition des dons manuels visés à l’article 757 du même code lorsque leur révélation est la conséquence d’une réponse du donataire à une demande de l’administration. 

La position de la Cour européenne des droits de l’Homme demeure toutefois attendue au regard de la portée générale conférée à l’arrêt susmentionné. 

Cela dit, il convient de souligner les circonstances en présence méthodiquement rappelées par le présent arrêt. L’administration fiscale avait concomitamment exercé son droit de communication auprès de l’Autorité judiciaire conformément aux dispositions des articles L81 et L82 C du Livre des Procédures Fiscales dans le cadre d’une procédure pénale, ce qui lui avait permis d’exciper plusieurs attestations de Madame X qui manifestait bien son intention libérale envers les époux V. Les juridictions du fond les ont ainsi retenues pour valider la qualification juridique des faits en rejetant les moyens soulevés relatifs à « des dons rémunératoires » ou des dons d’usage non imposables. 

Le terrain jurisprudentiel restant donc encore mouvant, nous ne pouvons que recommander d’être vigilant en termes de stratégie à adopter en réponse à toute demande provenant de l’administration fiscale. Eviter un redressement en matière d’impôt sur le revenu restant à catégoriser a, en l’espèce, conduit à une taxation aux droits de donation au taux de 60 % !