Évaluation des immeubles : une inquiétante dérive des juges du fond
(CA Paris, 5 décembre 2022, n° 21/03150)
On sait qu’en matière d’évaluation des immeubles pour l’impôt sur la fortune ou les droits de mutation, la jurisprudence est très attachée au principe de ne se fonder que sur des cessions de biens similaires intervenues avant le fait générateur de l’impôt. La Cour de cassation écarte systématiquement les références provenant de cessions postérieures (par ex., Cass. com. 30 octobre 1989, n° 1266 D).
Il existe certes des biens exceptionnels dont il n’est pas facile de trouver des références de mutations intervenues antérieurement. Dans cette hypothèse particulière, le juge de l’impôt est pragmatique : il permet à l’administration de retenir des mutations plus anciennes tout en les actualisant par un coefficient (Cass. com. 15 juillet 1992, n° 1325 D), voire de retenir une autre méthode que celle par comparaison (Cass. com. 22 janvier 1991, n° 219 P).
Toutefois, dans une situation exceptionnelle où il n’y avait aucun comparable avant le fait générateur de l’impôt, mais qu’un bien similaire s’était vendu peu de temps après, la Cour de cassation a accepté de le retenir (Cass. com.16 avril 2013, n° 12/16-266).
Cette décision signifie-t-elle que « la digue aurait sauté » et que l’administration pourrait dorénavant retenir comme termes de comparaison des mutations postérieures au fait générateur de l’impôt ? C’est manifestement ce que semble penser la Cour d’Appel de Paris qui a validé un redressement fondé sur le prix demandé dans un mandat de vente conforté par une mutation postérieure, celle de l’immeuble assujetti à l’Impôt de Solidarité sur la Fortune vendu 3 ans et demi plus tard.
Il faut dire que le cas tranché était particulièrement caricatural : il s’agissait de déterminer la valeur au 1er janvier 2008 d’un château du XXème siècle que le contribuable avait déclaré pour 3.620.000 € mais qu’il avait vendu en juin 2011 pour 25.000.000 €. Le XXème siècle n’étant pas celui des châteaux, l’administration, qui n’avait pas réussi à trouver le moindre comparatif, avait retenu comme terme de comparaison le prix indiqué par le contribuable dans le mandat de vente confié à une agence immobilière en 2008, au motif qu’il avait été validé par la vente intervenue en 2011.
Si l’on peut comprendre la démarche, on ne saurait l’accepter. Il serait trop facile d’opposer au contribuable ses rêves (le prix espéré figurant dans le mandat de vente) au motif que quelques années plus tard, ils auront réussi à rencontrer les rêves d’un acquéreur. Le simple fait que le bien ait mis 3 ans à se vendre démontre au contraire que le prix demandé était celui que seul un acheteur « coup de cœur » pouvait accepter de payer. Or, les « coups de coeur » ne font pas le marché immobilier. D’ailleurs, la doctrine administrative ne définit-elle pas la valeur vénale comme… « le prix normal qu’eût accepté de payer un acquéreur quelconque n’ayant pas une raison exceptionnelle de convenance de préférer plus particulièrement le bien litigieux à d’autres similaires » (BOI-PAT-ISF-30-50-10, n° 20) ?
Espérons que la Cour de cassation saura pour sa part ramener l’administration à la raison en lui rappelant qu’il y a d’autres moyens pour déterminer la valeur vénale d’un bien exceptionnel que de retenir le prix demandé dans un mandat de vente, surtout quand celui-ci ne connaît pas un succès rapide.
Tout le monde à le droit de rêver et le rêve ne saurait servir de base à l’impôt.