(CE 18 septembre 2023, n° 47185)

On sait que l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme permet de faire échec à la suppression d’un régime fiscal de faveur en cours de route lorsque celui-ci est limité dans le temps. La jurisprudence considère en effet que l’espérance légitime de bénéficier jusqu’à son terme des effets favorables de ce régime constitue pour le contribuable un droit sur lequel l’Etat ne peut en principe pas revenir (CE plén., 25 octobre 2017, n° 403320, Vivendi).

Mais ce droit est-il si absolu que cela ? C’est ce que des médecins installés en 2010 dans une Zone Franche urbaine ont considéré lorsque l’article 29 de la loi de finances rectificative pour 2013 du 29 décembre 2013 est venu modifier le calcul de la quote-part exonérée des bénéfices quand le contribuable exerce son activité en partie hors de la zone. La réforme a substitué au critère instauré par le loi du 31 mars 2006 de la Contribution Foncière des Entreprises – donc un critère de moyens – celui du chiffre d’affaires.

Les contribuables ont réussi à convaincre les juges du fond du bien-fondé de leur position, mais pas le Conseil d’Etat. Par une décision qui fera jurisprudence puisqu’elle sera mentionnée sur les tables du Lebon, les 3ème et 8ème chambres réunies ont estimé que la modification avait pour seule portée de rendre le critère de répartition plus rationnel au regard de l’objectif du législateur. Si le contribuable ne peut se voir priver d’un régime de faveur temporaire en cours de route, son droit n’est pas pour autant absolu et l’Etat peut parfaitement modifier le régime… « à condition de ménager un juste équilibre entre l’atteinte portée à ces droits et les motifs d’intérêt général susceptibles de la justifier ».

Et force est de constater que pour les professions libérales, le critère des moyens utilisés tels que résultant de l’assiette de la CFE n’était pas le plus cohérent et celui des recettes qui lui a été substitué a effectivement l’avantage d’éviter les effets d’aubaine.

Cette décision vient donc rappeler à juste titre aux contribuables que lorsque la soupe est trop bonne, il faut vite la consommer avant qu’elle ne refroidisse !