(CE 18 septembre 2023, n° 466868)

On se souvient que l’affaire Lupa avait donné lieu à une feuilleton palpitant, avec du suspense et des revirements de jurisprudence en pagaille, le Conseil d’Etat ayant jugé tout et son contraire en l’espace de quelques années. Un résumé des épisodes précédents est disponible ici : https://blog.bornhauser-avocats.fr/2019/04/affaire-lupa-apres-3-ans-derrements-la-pleniere-fiscale-du-conseil-detat-remet-les-pendules-a-lheure/

Après que la Cour Administrative d’Appel de Paris a donné gain de cause à la société Lupa, le ministre, mauvais joueur, s’est toutefois pourvu en cassation avec dans sa musette des moyens de procédure et de fond.

Sur la procédure, le Conseil d’Etat lui donne gain de case et annule l’arrêt de la Cour pour insuffisance de motivation. L’affaire lui revenant après une cassation, il règle donc l’affaire au fond et c’est ici que sa décision devient intéressante.

Le ministre avait identifié plusieurs autres abus de droit que ceux sur lequel ses services s’étaient fondés dans la proposition de rectification (qui datait de décembre 2009) et il demandait au Conseil de les juger fondés pour remettre l’impôt à la charge de la société Lupa. En particulier, il soutenait que si l’ordre de réalisation des actes avait été différent, le « correctif Quemener » n’aurait pas pu s’appliquer.

Le Conseil d’Etat aurait pu très classiquement répondre au ministre que face à plusieurs options pour parvenir à un résultat légitime, la jurisprudence traditionnelle autorise le contribuable à choisir la voie la moins imposée.

Il va toutefois choisir un moyen plus radical tiré de la procédure de répression des abus de droit elle-même. Si l’administration a le droit à tout moment de la procédure juridictionnelle de procéder à une substitution de base légale, c’est à la condition que le contribuable ne soit privé d’aucune garantie. Or, en se fondant sur l’existence d’un autre abus de droit que celui soulevé dans la proposition de rectification, le ministre prive le contribuable de la possibilité de soumettre son cas au Comité de l’Abus de Droit Fiscal.

Le Conseil d’Etat décide ainsi de donner à cette garantie procédurale une substance forte, en refusant que l’administration puisse changer son fusil d’épaule en cours de route pour invoquer un autre abus de droit que celui initialement identifié. Les contribuables apprécieront cette décision, dont on imagine qu’elle sera transposable au « mini-abus de droit » de l’article L 64 A du LPF.

Du point de vue du contribuable, l’affaire Lupa se termine donc à la satisfaction générale. Décidément, c’est bien à la manière dont l’intrigue se dénoue qu’on juge la qualité d’une série…