(TA Montreuil, 25 janvier 2024, n° 2109525)

On se souvient que les dispositions de l’article 244 bis B du CGI ont été déclarées contraires aux libertés communautaires et en particulier au principe de liberté de circulation des capitaux en ce qu’elles ne permettaient pas à une société étrangère détenant une participation satisfaisant au régime mère-fille d’obtenir le même traitement fiscal qu’une société française placée dans la même situation, à savoir n’être soumise à l’impôt sur les sociétés que sur une quote-part égale à 12 % de la plus-value (https://blog.bornhauser-avocats.fr/2020/11/lourdes-menaces-sur-larticle-244-bis-b-du-cgi/)

On se souvient aussi que nos espoirs d’obtenir le dégrèvement total de l’impôt sur les sociétés ont été douchés par le revirement du Conseil d’Etat, qui a finalement jugé que face à un texte national contraire au droit européen, le rôle du juge devait se limiter à replacer le contribuable dans la même situation que si le droit national avait été conforme, validant ainsi le maintien de l’imposition d’une quote-part de 12 % de la plus-value (https://blog.bornhauser-avocats.fr/2022/12/article-244-bis-b-du-cgi-et-liberte-de-circulation-des-capitaux-revirement-de-jurisprudence/).

Toutefois, une chronique parue dans la revue Droit Fiscal n° 6-7/23 sous la signature d’Yves Rutschmann et Ronan Vallérie intitulée Le Principe Européen de L’égalité de l’Impôt nous a redonné quelque espoir. Les auteurs y soutiennent que dans le droit européen (Charte des Droits Fondamentaux de l’UE et Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme), le principe de légalité de l’impôt serait en train d’émerger et qu’il rendrait impossible une imposition sans texte, condamnant la position du Conseil d’Etat qui permet au juge de combler les lacunes de la loi nationale pour rétablir l’équivalence des situations en cas de contrariété avec le droit communautaire (primaire ou dérivé). Nous renvoyons nos lecteurs à cette passionnante chronique.

Nous avouons nous en être largement inspirés pour demander au TA de Montreuil de dégrever l’impôt sur la quote-part de 12 % qui avait été laissée à la charge de notre client par l’administration. Mais nous sommes allés bien au-delà : si le principe de légalité émerge dans le droit européen, c’est d’abord parce qu’il existe dans le droit de ses Etats-membres. Et en droit français ce principe figure en creux dans l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 relatif à la séparation des pouvoirs.

Outre l’argument européen, nous avons donc déposé une QPC fondée sur la violation de l’article 16 de la DDHC. Certes, cette QPC semblait condamnée d’avance puisqu’on sait bien que le Conseil d’Etat se sent tout à fait autorisé à « combler les trous » lorsqu’une contrariété avec le droit européen apparaît, sans attendre que le législateur n’intervienne. Mais il nous semblait important de la soulever car si le principe de légalité émerge bien en droit européen, nous trouvions regrettable qu’une fois encore, le « pays des droits de l’homme » se le fasse imposer par la CJUE ou la CEDH. C’était donc une QPC « pour l’honneur » dont nous n’attendions pas grand chose.

Quelle ne fut pas notre déception lorsqu’à l’audience, il ne fut question que d’elle… Notre argumentation sur le principe de légalité en droit communautaire n’a même pas été évoquée par le rapporteur public, qui l’a qualifiée de « bouquet d’arguments européens » pour appeler le tribunal à la rejeter sans autre forme de procès. Nous eûmes beau plaider qu’ils constituaient le cœur de notre position, que si le tribunal ne nous croyait pas il pouvait s’en assurer en posant une Question Préjudicielle à la CJUE, rien n’y fit : le tribunal rejeta notre requête sans même considérer nos arguments tirés du droit européen.

Une fois de plus, il va nous falloir aller jusqu’au bout, c’est-à-dire très probablement jusqu’à la Cour Européenne des Droits de l’Homme, pour que nos arguments soient enfin examinés. Nous y sommes résolus.