On se souvient que lorsque le législateur a réintroduit un impôt de sortie sur les plus-values pour les contribuables transférant leur résidence fiscale hors de France (article 48 de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011), il a prévu que ce nouvel exit tax s’appliquerait aux départs intervenus à compter du 3 mars 2011.

Pourquoi cette date ? Parce que s’est tenue ce jour-là à Bercy une conférence dans laquelle le Ministre du Budget de l’époque, Monsieur François Baroin, a annoncé qu’une réforme de la fiscalité du patrimoine – en particulier de l’ISF – allait intervenir.

Saisi d’un recours a priori contre ce texte, la Conseil Constitutionnel a validé intégralement l’article 48, interdisant de remettre en question sa date d’entrée en vigueur par la voie d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (Cons. Const. 28 juillet 2011, n° 2011-638 DC). Telle fut la position constante des juges du fond, qui ont  systématiquement refusé de transmettre nos QPC sur ce point (v. par ex. Ordonnance TA Montreuil, 20 février 2019, n° 1800411).

Ne se décourageant pas pour si peu, un contribuable parti en Belgique en avril 2011 a continué le combat en invoquant le droit communautaire au soutien de sa position critiquant la rétroactivité de l’exit tax. En effet, même si cette imposition ne procède pas de la mise en oeuvre du droit européen, elle est de nature à restreindre tant la liberté d’établissement que celle de circulation des travailleurs.

Or, le principe de Confiance Légitime reconnu par le droit européen impose, selon la CJUE, qu’une mesure destinée à entrer en vigueur avant le vote effectif de la loi pour éviter les effets d’aubaine soit annoncée à ses destinataires avec une publicité suffisantes et conformes aux usages appliqués dans l’Etat-membre concerné (CJCE 26 avril 2005, aff. 376/02, plén., Stichting « Goed Wonen » ; CJUE 12 décembre 2013, aff. C-362/12, Test Claimants in the Franked Investment Income Group Litigation). En France, il est ainsi d’usage que la mesure d’application immédiate soit annoncée comme telle lors de la présentation du projet de loi en Conseil des Ministres ou, si elle procède d’un amendement, qu’elle entre en vigueur à la date où l’amendement est adopté par la commission des finances.

Toutefois, rien de tel n’avait été annoncé le 3 mars 2011. Non seulement le ministre était resté très discret sur l’introduction prochaine d’un exit tax, précisant même que le Gouvernement n’avait encore pris aucune décision à ce stade, mais la directrice de la Législation Fiscale de l’époque, Madame Lepetit, avait déclaré aux sénateurs qui l’auditionnait le 13 avril 2011 qu’un exit tax serait prévu pour entrer en vigueur « à l’été ». Ce n’est que lors de la présentation du PLFR en Conseil des Ministres le 11 mai 2011 que les contribuables et leurs conseils ont découvert que l’impôt de sortie rétroagissait à tous les départs intervenus depuis le 3 mars 2011.

Le contribuable combat cette rétroactivité sans succès depuis presque 14 ans, puisque tant le tribunal administratif de Montreuil (1er décembre 2020, n° 1800411) que la Cour Administrative de Paris (5 avril 2023, n° 21PA00433) ont rejeté ses recours.

Ces décisions pourraient toutefois être infirmées très prochainement. En effet, si le Conseil d’Etat suit son rapporteur public Bastien Lignereux, les 9ème et 10ème chambres réunies devraient confirmer qu’en application du principe de la Confiance Légitime issu du droit européen, faute d’une annonce suffisante le 3 mars 2011, l’impôt de sortie sur les plus-values n’est entré en vigueur que le lendemain de la publication de la loi du 29 juillet 2011, c’est-à-dire « à l’été », comme l’annonçait en son temps Madame Lepetit.

Pour le contribuable concerné comme pour ses conseils, ce sera l’épilogue d’un long combat, dont l’issue – si elle est favorable – démontrera une fois de plus que les Traités Européens protègent mieux les droits des contribuables que notre propre Constitution. Ce que l’auteur de ces lignes trouve particulièrement regrettable…