Régime fiscal des sociétés de personnes : le « sac d’embrouilles » n’a pas de fond
(CE 18 octobre 2022, n° 462497)
On sait que l’article 8 du CGI dispose que le résultat fiscal d’une société de personnes est réparti entre ses associés au prorata de leurs droits dans le capital. Toutefois, cette règle n’est que supplétive et les associés peuvent décider, par une convention conclue antérieurement à la clôture de l’exercice, de retenir une répartition différente. La seule limite semble être celle édictée par l’article 1844-1 du Code Civil qui prohibe les clauses léonines, c’est-à-dire celles qui attribuent la totalité du profit à un seul associé ou qui l’exonère de toute contribution aux pertes.
Le Conseil d’Etat vient de se prononcer dans une hypothèse tout à fait particulière où deux parents possédant ensemble 1 % du capital d’une SCI dont leurs enfants possédaient 99 % du capital avaient prévu avec leurs enfants que les pertes enregistrées au cours de trois années successives seraient intégralement attribuées aux parents.
Nous n’avons pas le détail des faits de l’espèce mais la SCI avait manifestement réalisé au cours de ces années des travaux importants sur des immeubles affectés à la location nue. Les délibérations des Assemblées Générales Extraordinaires ayant pour but d’attribuer les pertes aux parents leur ont semble-t-il permis de les imputer sur leurs revenus fonciers.
Se fondant sur le caractère léonin de cette délibération, l’administration a contesté l’opposabilité de ces AGE et redressé les contribuables à hauteur des pertes transmises par la SCI excédant leur quotité de capital. Elle a donc remis en cause 99 % des déficits fonciers imputés.
Le Conseil d’Etat lui donne tort en relevant que ces délibérations ne constituaient pas des clauses léonines car leur effet avait été limité dans le temps. Ce qui semble avoir emporté la conviction des juges du fond dont la décision est validée par le Conseil d’Etat, c’est la circonstance que les parents avaient manifestement financé seuls les travaux que la modification du pacte social leur avait permis de déduire fiscalement.
Il ne fait pas de doute dans notre esprit qu’à défaut d’un tel sous-jacent factuel, l’administration n’aurait pas hésité à employer l’arme de l’abus de droit. C’est donc avec une précaution infinie qu’il faudra manipuler cette jurisprudence . Si le pacte social d’une société fiscalement translucide peut être temporairement modifié pour permettre à un associé qui financerait au-delà de sa contribution statutaire des dépenses exceptionnelles de les déduire fiscalement, il n’est pas question de déconnecter sans bonne raison les droits dans les résultats de ce que prévoient les statuts.
Dans son indémodable précis de fiscalité, le regretté professeur Cozian avait qualifié la fiscalité des sociétés de personnes de « sac d’embrouilles ». 40 ans plus tard on ne touche toujours pas le fond du sac…