(Cass. Civ. 3è, 19 septembre 2024, n° 22-18.687)

On sait que sauf stipulation contraire des statuts, c’est l’usufruitier qui a vocation à bénéficier des distributions de bénéfices et le nu-propriétaire qui a droit aux réserves (Cass. com., 27 mai 2015, n° 14-16.246).

En application de ces principes, la Cour d’Appel de Versailles avait jugé le 10 mai 2022 (n° 21/03.119) que l’usufruitier des parts pouvait se distribuer en pleine propriété la plus-value réalisée par une SCI lors de la vente de son seul immeuble. La solution semblait conforme à l’état du droit, mais le nu-propriétaire devait confusément sentir qu’il était le dindon de la farce. En effet, il avait acquis (à titre onéreux ou à titre gratuit) la nue-propriété des parts de la société pour une valeur qui intégrait tout ou partie de la plus-value latente sur l’immeuble à cette date. Si lors de la vente l’usufruitier mettait seul la main dessus, l’opération allait mécaniquement l’appauvrir d’autant.

Fort heureusement, la Cour de cassation lui a donné raison en tempérant le principe affirmé dans sa décision de principe de 2015, qui n’est pas remis en question. Elle considère que… « La distribution, sous forme de dividendes, du produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers d’une société civile immobilière affecte la substance des parts sociales grevées d’usufruit en ce qu’elle compromet la poursuite de l’objet social et l’accomplissement du but poursuivi par les associés ». D’une certaine manière, elle rejoint la doctrine administrative qui considère qu’en présence de titres démembrés, c’est le nu-propriétaire qui est, sauf stipulation contraire des statuts, redevable de l’impôt sur la plus-value réalisée par la société de personnes (BOI-BIC-CHAMP-70-20-10-20, n° 140). Sauf que contrairement à l’administration, la Cour réserve la solution à des cas très particuliers où la poursuite de l’objet social est compromis, comme la vente de l’ensemble des actifs sociaux.

La solution est heureuse, d’autant plus que ses droits s’exerçant sous la forme d’un quasi-usufruit, l’usufruitier ne sera en pratique pas privé du droit de jouir librement des dividendes distribués. Tout au plus devra-t-il veiller, s’il les consomme, à conserver dans son patrimoine des actifs pour une valeur équivalente. Quant au nu-propriétaire, la créance qu’il pourra faire valoir au terme du démembrement – généralement, le décès de l’usufruitier – va préserver ses droits sur les sommes distribuées. Et s’il craint la prodigalité du quasi-usufruitier, il pourra toujours lui demander de lui fournir des garanties. Si les sommes en quasi-usufruit ont été consommées, la créance dont il pourra demander le remboursement à l’extinction de l’usufruit lui permettra de se faire payer en récupérant d’autres actifs de l’usufruitier. Rappelons également que cette créance n’est pas visée par l’article 774 bis du CGI et sera donc pleinement déductible de l’actif successoral taxable de l’usufruitier.

Bien que sa rédaction ne soit pas obligatoire, nous recommandons vivement aux quasi-usufruitiers et nus-propriétaires concernés de conclure une convention de quasi-usufruit précisant leurs relations et surtout la computation de la créance du nu-propriétaire, en prévoyant notamment son indexation pour la protéger de l’inflation, faute de quoi son montant sera égal, en application du principe du nominalisme monétaire, au montant des sommes distribuées. Convention dont l’enregistrement pour lui conférer date certaine s’impose avec la force de l’évidence.

Une dernière remarque pour conclure : les parties conservent la possibilité de régler librement dans les statuts la question de l’attribution des dividendes en présence de titres démembrés. Il est difficilement compréhensible que cette possibilité ne soit pas systématiquement mise en oeuvre.