Comme nous l’avions évoqué dans notre actualité du 16 janvier 2016, la décision n° 2015-515 QPC du 14 janvier 2016 rendue par le Conseil Constitutionnel en matière d’imposition des compléments de prix semblait ouvrir la voie à de nouvelles contestations relatives au champ d’application des abattements pour durée de détention sur plus-values de cessions de valeurs mobilières.

C’est désormais chose faite avec l’enregistrement par le Conseil d’Etat, le 26 janvier 2016, d’un nouveau recours pour excès pouvoir formé par l’un de nos clients contre l’instruction administrative excluant du champ d’application des abattements les plus-values en report d’imposition antérieures au 1er janvier 2013, qui concerne cette fois les plus-values en report constatées dans le cadre de l’article 150-0B ter du CGI lors d’apports de titres réalisés entre le 20 novembre et le 31 décembre 2012.

Les abattements, on s’en souvient, étaient clairement destinés à atténuer les effets de la taxation, en vigueur depuis 2013, des plus-values au barème progressif de l’impôt sur le revenu au taux marginal de 45 %.

L’administration fiscale s’est toutefois engouffrée dans le caractère approximatif (sinon inexistant) des dispositions transitoires prévues par le texte légal pour rompre cet équilibre et retenir, contre toute attente, une approche restrictive du champ d’application des abattements  aboutissant à certaines situations de taxation de plus-values à 45 % (en réalité 64,5 % en ajoutant à l’impôt sur le revenu proprement dit les prélèvements sociaux et la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus), sans que la plus-value concernée ne puisse bénéficier d’aucun correctif lié à la durée de détention des titres cédés.

L’une de ces situations de surtaxation manifeste était celle des bénéficiaires de compléments de prix reçus à compter du 1erjanvier 2013 (et donc concernés par la taxation au barème progressif) mais afférents à des cessions de titres opérées avant cette date.

Le législateur ayant précisé que les compléments de prix pouvaient être diminués de l’abattement « appliqué lors de [la] cession » de droits sociaux dont ils sont issus, l’administration fiscale avait en effet cru pouvoir en déduire que les compléments de prix afférents à des cessions n’ayant pas elles-mêmes été placées dans le champ d’application des abattements ne pourraient pas en bénéficier non plus.

Tel aurait mécaniquement été le cas des opérations antérieures à 2013 car la plus-value cession elle-même n’ayant pu bénéficier d’abattements alors non encore en vigueur (rappelant toutefois que, symétriquement, elle était encore taxée à un taux proportionnel raisonnable), le complément de prix reçu ultérieurement était voué à être privé du bénéfice de l’abattement (tout en subissant l’effet du barème progressif de l’impôt sur le revenu).

Dans la décision précitée n° 2015-515 QPC, le Conseil Constitutionnel a toutefois rétabli une situation conforme au principe d’égalité devant les charges publiques, estimant que s’il était justifié que la durée de détention ouvrant droit à abattement soit appréciée à la date de la cession des titres et non à la date de versement du complément de prix (ce afin d’éviter un effet d’aubaine tenant à différer ce versement pour augmenter l’abattement applicable), en revanche, aucun critère objectif ou rationnel en rapport avec l’objet de la loi ne justifiait que des titres qui satisfaisaient à la durée de détention lors de leur cession puissent donner lieu à la taxation d’un complément de prix privé du bénéfice des abattements.

Les conséquences pratiques de cette décision sont évidentes pour les contribuables qui sont placés dans l’autre situation de surtaxation manifeste résultant de l’approche restrictive de l’administration, à savoir les détenteurs de titres porteurs de plus-values en report d’imposition antérieures à 2013.

En effet, les contribuables ayant constaté des plus-values placées avant le 1er janvier 2013 sous un régime de report d’imposition ont désormais vocation à être taxés, lorsqu’ils mettront fin au différé d’imposition, au barème progressif de l’impôt sur le revenu sans que l’administration fiscale ne permette l’application d’abattements pour durée de détention, celle-ci estimant ceux-ci exclus par l’application des nouvelles modalités de taxation des plus-values « aux gains réalisés et aux distributions perçues à compter du 1er janvier 2013 » selon les termes de la Loi de Finances pour 2014.

Or, force est de constater que ces contribuables se retrouvent exactement dans la même situation de taxation exorbitante que les bénéficiaires de compléments prix, sans que leur situation ne puisse davantage s’expliquer par des critères objectifs et rationnels.

La situation de notre client est à cet égard particulièrement parlante puisque sa plus-value en report a été constatée avant le 1erjanvier 2013 (raison pour laquelle l’administration lui refuse le bénéfice des abattements) à l’occasion d’une opération d’apport qui n’a donné lieu à un report d’imposition que parce qu’elle s’est trouvée dans le champ d’application de l’article 150-0 B ter du CGI, qui ne s’appliquait lui-même qu’à compter du 14 novembre 2012.

Or, il est difficile d’envisager un jeu de critères rationnels et objectifs pouvant avoir conduit le législateur à vouloir surtaxer une opération uniquement parce qu’elle a été réalisée entre le 14 novembre et le 31 décembre 2012.

Le Conseil d’Etat a donc été saisi d’un recours pour excès de pouvoir, doublé d’une question prioritaire de constitutionnalité, l’invitant à annuler l’instruction de l’administration en sollicitant en tant que besoin une nouvelle intervention du Conseil Constitutionnel si le Conseil d’Etat estimait ne pas disposer d’une marge d’interprétation suffisante au regard de la teneur le texte législatif.

Encore faudra-t-il que le Conseil d’Etat accepte, à la lumière de la récente décision du Conseil Constitutionnel sur les compléments de prix, de renoncer à sa jurisprudence antérieure du 12 novembre 2015, par laquelle il estimait encore que l’imposition de plus-values en report d’imposition au barème progressif de l’impôt sur le revenu sans abattement pour durée de détention n’avait pas de caractère confiscatoire, en contrariété visible avec la jurisprudence du Conseil Constitutionnel.

Concernant les plus-values en report antérieures à 2000, nous ne contesterons plus l’instruction elle-même (cela nous semble inutile compte tenu du présent recours), mais directement l’impôt devant le tribunal administratif, en lui demandant de faire application de la réserve d’interprétation contenue dans la décision n° 515 QPC et, le moment venu, de la décision que rendra le Conseil d’Etat sur notre nouveau recours pour excès de pouvoir.