On sait que le Conseil Constitutionnel a toujours soutenu la position du Conseil d’Etat tendant à considérer que la plénitude de juridiction du juge de l’impôt n’allait pas jusqu’à l’autoriser à modérer le montant des pénalités fiscales infligées au contribuable par l’administration (Cons. Const. 17 septembre 2015 n° 2015-481 QPC ; Avis CE n° 176611 5 avril 1996, Houdmond). La Cour Européenne des Droits de l’Homme a une position similaire (CEDH 7 juin 2012 aff. 4837/06, 5esect., Segame c/ France), seule la Cour de cassation ayant pris – mais pour combien de temps ? – une position contraire (Cass. com. 29 avril 1997, n° 1068 PB, Ferreira).

Le fondement de cette jurisprudence reposait jusqu’à présent sur l’idée selon laquelle le principe d’individualisation des peines était satisfait pour une amende forfaitaire lorsque celle-ci s’inscrivait dans un barème fixé par le législateur. C’est notamment sur ce fondement que le Conseil avait écarté le grief que nous avions soulevé contre l’amende proportionnelle pour défaut de déclaration des comptes détenus à l’étranger.

Lors de l’examen de notre QPC relative à l’amende « Trust », le représentant du Premier Ministre avait tenté de se raccrocher à cette jurisprudence en soutenant que cette amende constituait le « troisième barreau » d’une échelle constitué de l’amende « compte » de 1.500 € lorsque le compte est situé dans un État coopératif, puis de l’amende « compte » de 10.000 € lorsque la banque est situé dans un autre État. Cet argumentaire reposait sur l’idée qu’un contribuable qui utilisait un trust pour dissimuler ses avoirs à l’étranger commettait une infraction bien plus grave que celui qui avait ouvert un compte dans un État non coopératif, qui avait lui-même un comportement méritant d’être plus lourdement sanctionné que celui qui avait simplement oublié de déclarer un compte ouvert dans un État lié à la France par une convention d’assistance administrative permettant l’accès aux informations bancaires.

Toutefois, ce raisonnement était conceptuellement erroné : la même amende sanctionne les trusts constitués dans des États coopératifs et/ou dont les avoirs sont situés dans des États également coopératifs et les autres, alors que lorsque l’Etat du trust et/ou de ses avoirs est coopératif, l’accès par l’administration fiscale française aux informations sur les actifs du trust est en pratique aussi facile que pour les comptes bancaires ouverts en direct dans des États coopératifs.

Les commentaires publiés par le Conseil confirment expressément qu’il a écarté le raisonnement du Premier Ministre : c’est bien une amende « à barreau unique » qui a été jugée conforme au principe d’individualisation des peines et cette question est tranchée pour la première fois. Le Conseil considère donc que le pouvoir qu’a le juge de décharger le contribuable de l’amende lorsque les conditions de son application ne sont pas réunies suffit à lui donner cette plénitude de juridiction.

Ce faisant, il enterre définitivement la possibilité pour le juge de modérer le montant de l’amende, ce qui, eu égard au montant très élevé de cette dernière (mais sur lequel il ne se reconnaît qu’un contrôle restreint), pourra aboutir à des situations choquantes d’un montant cumulé d’amendes forfaitaires qui excèderont les actifs du trust.

Il n’y a plus qu’à espérer que l’administration saura utiliser les prérogatives qu’elle tient de la loi pour modérer à titre gracieux les sanctions infligées dans ces hypothèses particulières.

Une autre approche consisterait à contester la solidarité instaurée par la loi entre l’administrateur du trust redevable de l’amende (qui, domicilié à l’étranger, ne risque en pratique pas grand chose), d’une part, et le constituant et les bénéficiaires, d’autre part. Cette question n’a pas été posée au Conseil qui n’a donc pas eu à la trancher, mais elle méritera de l’être.