Biens balisées, les opérations d’investissement en démembrement de propriété constituaient, avant l’entrée en vigueur de l’article 13-5 du CGI, un véritable paradis fiscal. La jurisprudence nous rappelle que la fixation du prix de vente de l’usufruit à son juste niveau, si elle n’était pas une condition pour éviter l’abus de droit, permettait toutefois au contribuable d’éviter d’autres déconvenues.

La Cour Administrative d’Appel de Nantes vient de se prononcer sur le risque d’abus de droit dans un schéma de cession temporaire d’usufruit (31 mai 2018, n° 16NT04182).

 

Les faits de l’espèce étaient classiques : des parents possédaient avec leur fils une société civile immobilière possédant un bâtiment industriel depuis plus de 15 ans. En 2009 (donc avant l’entrée en vigueur de l’article 13-5 du CGI), la société civile a cédé l’usufruit temporaire pour 15 ans de l’immeuble à la société d’exploitation possédé par leur fils, pour un prix fixé par application du barème de l’article 669 du CGI à 46 % de sa valeur en pleine propriété.

 

L’administration a remis en cause le schéma en invoquant l’abus de droit au double motif suivant :

 

  • Fraude à la loi dès lors que l’opération avait abouti à taxer les revenus fonciers attendus sous le régime des plus-values immobilières, ce qui s’est traduit en l’espèce par une exonération totale (exonération qui n’est aujourd’hui acquise qu’après 30 ans de détention), circonstance aggravée par le fait que le prix de vente de l’usufruit était surévalué ;
  • Fictivité dès lors que le prix de cession de l’usufruit étant surévalué, l’opération n’apportait aucune prérogative supplémentaire à l’acquéreur par rapport au bail commercial dont il disposait auparavant.
La Cour lui donne tort sur les deux fondements. Elle considère que l’opération réalisée ne détournait pas les textes applicables – en particulier le texte permettant l’exonération des plus-values immobilières à l’issue d’un certain délai de détention – dès lors que rien de tel ne transparaissait dans les travaux parlementaires ayant abouti à la réforme de l’imposition des plus-values immobilières fin 2003.

 

Elle juge également que l’éventuelle surévaluation du prix de vente de l’usufruit temporaire n’emporte aucune conséquence sur le terrain de l’abus de droit, dès lors que la cession temporaire d’usufruit est bien juridiquement intervenue et qu’elle a emporté des conséquences différentes de la conclusion d’un bail commercial, notamment en ce qui concerne les travaux de grosses réparations qui restent à la charge de l’usufruitier

 

En revanche, faisant partiellement droit aux conclusions du ministre demandant par voie de substitution de base légale que soit constaté un revenu distribué à concurrence du prix ce vente excédant la valeur réelle de l’usufruit cédé, elle rappelle avec force qu’un tel usufruit ne peut pas être évalué par application du barème fiscal de l’article 762 du CGI, qui n’est applicable qu’en matière de droits de mutation (à titre gratuit et onéreux). Que la seule méthode applicable est celle des cash flowsactualisés. Et qu’en application de la jurisprudence Thérond (CE 28 février 2001, n° 199295), dès lors que l’écart avec la valeur réelle dépasse 20 %, le caractère libéral de l’opération peut être présumée compte tenu des liens familiaux unissant les parties.

 

Il convient de retenir de cette décision que, d’une part, le risque de voir ces opérations remises en cause sur le terrain de l’abus de droit est extrêmement limité dès lors, bien entendu, que le démembrement correspond à une opération réelle avec un acquéreur de l’usufruit qui ne soit pas dépourvu de toute substance.
D’autre part, que tout raccourci dans la conception du schéma pour des raisons d’économie peut s’avérer particulièrement contreproductif : si au lieu de rechercher la facilité de l’application du barème de l’article 669 du CGI, les parties avaient fait fixer le prix de vente de l’usufruit par un expert agréé près les tribunaux qui aurait naturellement appliqué la bonne méthode, l’administration fiscale en aurait été pour ses frais. En mégotant sur les frais de conception de l’opération, elles lui ont donné la satisfaction d’une substitution de base légale justifiée.