L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 27 janvier 2021 intéressera à plus d’un titre les professionnels du droit de la famille et du patrimoine. Il se prononce en effet sur la conventionalité des dispositions prévoyant la recevabilité de l’appel à l’encontre des ordonnances du juge des tutelles au regard du droit d’accès au juge prévu par l’article 6 § I de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme. Il résulte en effet des dispositions combinées des articles 1239 du code de procédure civile[1] et 430 du Code civil que seules peuvent interjeter appel d’une ordonnance du juge des tutelles la personne protégée ou selon le cas son conjoint, le partenaire avec qui elle est liée par un PACS, ou son concubin, à moins que la vie commune ait cessé entre eux, ou par un parent ou un allié, une personne entretenant avec le majeur des liens étroits et stables ou la personne qui exerce à son égard une mesure de protection juridique. Cette recevabilité limitée de l’appel est justifiée par la volonté du législateur de protéger prioritairement les intérêts de la personne vulnérable, avant les intérêts des tiers.

Dans cette affaire, un concubin avait instauré en 2010 comme bénéficiaire d’une assurance-vie sa concubine et à défaut, ses héritiers. Le même jour, il avait rédigé un testament révoquant toutes dispositions antérieures et prévoyant plusieurs legs particuliers à son épouse et à ses deux enfants. Les concubins se sont séparés en 2015. Atteint ensuite de la maladie d’Alzheimer, l’ancien concubin fit l’objet d’une mesure de tutelle, son fils étant alors désigné tuteur et il décéda en 2016. Peu avant le décès, cependant, la modification de la clause bénéficiaire de l’assurance-vie fut autorisée par une ordonnance du juge des tutelles, à la demande du tuteur et donc de son fils, et désigna la première épouse du concubin séparé et ses enfants, parmi lesquels figurait donc le tuteur lui-même. Au décès, l’ancienne concubine, qui ignorait tout de ce changement, s’adressa à l’assureur pour obtenir le versement de l’assurance-vie, qui lui opposa la modification de la clause. Elle forma donc une tierce opposition puis un appel contre l’ordonnance ayant autorisé ladite modification. La cour d’appel de Lyon déclara irrecevable la tierce opposition et l’appel comme tardifs et pour défaut de qualité à agir. Toutefois, au visa de l’article 6 § I de la CEDH, la cour jugea que même si l’appel était irrecevable, l’application de l’article 1239 du code de procédure civile au cas d’espèce était contraire au droit d’accès au juge car cette disposition privait la concubine de toute voie de recours contre une décision qui portait indiscutablement et de manière grave atteinte à ses intérêts, décision qui avait de surcroît été prise sans qu’elle ait été en mesure de faire entendre ses droits. Cet arrêt est cassé sans renvoi, au visa de l’article 6 § I de la CEDH et au motif que le droit d’appel restreint contre les ordonnances du juge des tutelles ne contrevient pas au droit d’accès au juge. L’appel formé par l’ancienne concubine est donc bien définitivement jugé irrecevable. 

  • Sur le droit d’accès au juge. Les juges du fond ont relevé que l’appel avait été rendu de facto impossible pour l’ancienne concubine, en violation du principe du droit d’accès au juge, en raison d’un délai légal très court (15 jours à compter de la décision et non de sa notification ou signification) et ensuite, parce qu’il était subordonné à l’existence d’un lien effectif entre cette dernière et le majeur protégé qui n’existait plus puisque le couple s’était séparé. Mais la Haute juridiction censure cette motivation, en raisonnant in abstracto sur la conventionalité de l’article 430 du code civil et 1239 du code de procédure civile. Procédant à une lecture littérale du premier de ces textes, elle estime que la liste qu’il prévoit est exhaustive. Elle retient donc que le droit d’appel limité contre les décisions du juge des tutelles n’est pas contraire au droit d’accès au juge. Une telle limitation est proportionnée en raison des buts poursuivis, à savoir la protection des intérêts du majeur vulnérable. Pour la haute juridiction, il est justifié que l’appel ne soit ouvert qu’aux personnes qui ont des liens étroits avec la personne protégée et ont vocation à veiller à ses intérêtsOr en l’espèce, comme le couple de concubins s’était séparé plus de dix-huit mois avant le décès, la concubine n’avait plus de liens étroits avec la personne protégée et n’était plus protectrice de ses intérêtsElle poursuivait uniquement ses intérêts personnels et de ce fait ne rentrait plus dans la liste des personnes prévues à l’article 430 du code civil.
  • Sur la modification de la clause bénéficiaire, il est regrettable pour l’ancienne concubine qu’elle n’ait pas accepté la clause avant la séparation. Si tel avait été le cas, sa modification aurait été impossible, car cette acceptation rend la clause irrévocable. En outre, une question demeure. En effet, le tuteur, qui n’était autre que le fils du concubin défunt, a été désigné comme bénéficiaire de la clause lors de sa modification, au même titre que sa mère (1ère épouse du défunt) et que sa sœur après autorisation du juge des tutelles. On peut donc légitimement s’interroger sur un éventuel conflit d’intérêt, au demeurant relevé dans un des moyens du pourvoi, puisqu’en l’espèce, le tuteur avait demandé au juge des tutelles une modification de la clause bénéficiaire à son profit, sans que la première bénéficiaire en ait été informée et à même de faire entendre ses droits. La Cour de cassation ne répond pas à cette critique, cassant l’arrêt uniquement sur le fondement de l’article 6 § I de la CEDH. Mais la question se reposera sans doute dans une autre instance, peut-être par le biais d’une Question Prioritaire 

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[1] Dans sa rédaction antérieure au décret n° 2019-756 du 22 juillet 2019