Cass. 2° Civ. 19 octobre 2023, Pourvoi n° 21-20.366

La décision que vient de rendre la cour de cassation suscite un émoi légitime chez les professions libérales et en particulier chez les avocats qui, mieux que les professionnels médicaux directement visés par la décision, sont mieux à même d’en saisir la portée.

Nous entendons donc compléter nos premiers commentaires faits « à chaud »(https://blog.bornhauser-avocats.fr/2023/10/les-dividendes-distribues-par-une-selarl-a-une-spfpl-sont-ils-inclus-dans-lassiette-des-charges-sociales-de-lassocie-professionnel-exercant/) par d’autres réflexions.

La première concerne la réaction de la profession d’avocat qui, grâce à un heureux hasard du calendrier, a pu se manifester très tôt auprès des pouvoirs publics, lesquels se sont d’ores et déjà montrés très sensible à la situation. La loi interprétée contra legem par la cour de cassation étant particulièrement claire, la modifier n’aurait guère de sens. Plus que sa lettre, c’est son interprétation par le juge qu’il faut changer. Et pour cela, point besoin de faire de grands efforts : il suffit juste d’insérer la bonne interprétation dans le Bulletin Officiel de la Sécurité Sociale (BOSS).

En effet, la publication des circulaires et instructions sur le site internet du BOSS produit, en application de l’article R 312-9 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA), les mêmes effets qu’une publication sur le site de Legifrance, de sorte que la doctrine administrative en matière sociale publiée au BOSS est opposable aux organismes de recouvrement des cotisations et permet donc de faire échec à des réhaussements de cotisations.

La seconde concerne la portée de cet arrêt. Même s’il est publié au Bulletin, il n’a pas été rendu par une formation solennelle. Le qualifier de décision d’espèce n’est pas lui faire injure.

De plus, les risques d’une extension à l’ensemble des cotisations sociales des professions libérales de cette jurisprudence nous semblent très limités, voire nuls. En effet, pour les cotisations sociales relevant de la compétence des URSSAF, le cotisant dispose d’une garantie en cas d’abus de droit : la saisine du Comité de l’Abus de Droit Social (CADS). Or, pour assujettir l’assuré aux cotisations sur les dividendes versés par sa société d’exercice à la SPFPL, la cour de cassation a implicitement mais nécessairement admis que l’organisme collecteur avait écarté à bon droit l’interposition de cette dernière. En contentieux social général, le seul moyen pour procéder de la sorte est d’invoquer l’existence d’un abus de droit. Et si l’URSSAF pratique un abus de droit « rampant » en n’offrant pas au cotisant le droit de saisir le CADS, elle commet un vice de procédure qui est sanctionnée par la nullité de la cotisation supplémentaire (Cass. soc. 16 février 2023, n° 21-17.207, n° 21-11.600 et 21-18.322). 

Or, si le CADS est saisi d’un tel litige, il est peu probable qu’il valide un tel redressement et que la tutelle des URSSAF poursuive le contentieux. Certes, les faits semblaient caricaturaux puisque la SPFPL détenait la quasi-totalité (sauf une) des parts de la SELARL d’exercice et que la SPFPL était détenu à égalité par le praticien et son épouse. Cela dit, le fait que l’épouse détienne la moitié du capital de la SPFPL et donc bénéficie de l’enrichissement procuré par la remontée des dividendes de la SELARL constituait de notre point de vue un bon argument anti-abus. Ne détenir indirectement que la moitié d’une société n’est en effet pas la même chose que de la posséder en totalité, même si l’autre associé est votre conjoint, comme on l’apprend souvent douloureusement en cas de divorce. Sans oublier l’argument général que le cotisant n’est jamais tenu de choisir la voie la plus pavée de cotisations lorsqu’une autre, moins coûteuse, se présente à lui pour satisfaire un but légitime, comme sécuriser une fraction de son patrimoine en réalisant une opération d’OBO (Owner Buy Out).

En conclusion, même si le BOSS n’est in fine pas modifié pour contrer cette interprétation anachronique de la loi, il convient de raison garder : cette décision d’espèce ne saurait faire jurisprudence et c’est heureux.

Reste maintenant aux professions libérales à calmer les ardeurs de leurs caisses de retraite respectives dont l’appétit aura été aiguisé par cette décision…