On sait que le Conseil d’Etat vient de poser à la CJUE une question préjudicielle pour savoir si le régime du report d’imposition est ou non conforme à la Directive « Fusions » (CE, 31 mai 2016, Section, n° 393881).

Nous avons vu la semaine dernière que le simple fait que le Conseil d’Etat accepte de poser ce genre de questions ouvrait des perspectives intéressantes pour le contentieux sur les apports-cessions. Nous allons maintenant nous intéresser aux perspectives qu’ouvrirait une réponse négative de la CJUE qui scellerait le caractère non conforme au droit communautaire du régime du report d’imposition en vigueur jusqu’en 1999 et réactivé depuis le 14 novembre 2012 pour les apports à une société que l’apporteur contrôle.

Dans cette hypothèse, les contribuables qui ont réalisé avant 2000 des échanges de titres se trouveront dans une situation plus défavorable que ceux qui auront échangé leurs titres après 1999 et qui auront vu leur plus-value d’échange soumise au régime du sursis. En effet, alors que les premiers sont actuellement soumis lors de la vente des titres reçus en échange au barème progressif sans application d’un abattement pour durée de détention, inconvénient très rarement compensé par la possibilité de réévaluer le prix de revient des titres échangés ouverte par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-538 QPC du 12 avril 2016, les second bénéficient pleinement de cet abattement.

Or, si la CJUE estime que le système du report est incompatible avec l’article 8 de la Directive « Fusions », les contribuables ayant réalisé des échanges de titres entrant dans le champ de la Directive (schématiquement, ceux ayant échangés des titres de sociétés relevant d’Etats-membres différents) vont se trouver automatiquement soumis au régime du sursis et vont donc mécaniquement bénéficier des abattements pour durée de détention. Les autres, ceux qui ont échangé des titres de sociétés françaises, resteront soumis au régime du report et seront donc traités moins favorablement. Dès lors, ils pourront demander au Conseil constitutionnel de sanctionner la loi française sur le fondement de l’existence d’une discrimination à rebours.

La situation est toutefois différente pour les contribuables ayant échangé des titres sous l’empire de l’article 150-0B ter du CGI fin 2012, puisque le Conseil constitutionnel  a estimé que la garantie des droits leur permettait de se voir taxés lors de la vente des titres remis à l’échange sur la plus-value en report réalisée lors de l’apport au taux applicable en 2012 (24 % ou 19 % dans certaines hypothèses particulières). La discrimination dont ils font l’objet apparaît donc nettement moins évidente que pour ceux ayant des plus-values en report antérieures à 2000.

Cela dit, elle subsiste dès lors que les titres échangés étaient détenus depuis plus de 2 ans à la date de l’échange puisque si le contribuable est soumis à l’impôt sur le revenu à la plus haute tranche du barème, l’abattement de 50 % dont il aurait pu bénéficier aurait ramené le poids effectif de son imposition à 22,5 %, soit un montant inférieur à 24 %.

Par ailleurs, le fait que l’échange fasse repartir le décompte des abattements pour durée de détention peut le pénaliser lors de la vente des titres reçus en échange par rapport au sursis d’imposition où l’antériorité de la détention des titres est conservée.

Pour toutes ces raisons, nous allons demander au Conseil d’Etat, dans le cadre du Recours pour Excès de Pouvoir que nous avons déposé contre l’instruction privant les contribuables ayant réalisé des apports sous le régime de l’article 150-0B ter en 2102 des abattements pour durée de détention, de bien vouloir saisir la CJUE d’une Question Préjudicielle pour lui demander, comme Monsieur Jacob, si le régime du report d’imposition est ou non contraire à l’article 8 de la Directive « Fusions », mais également si cet article doit être interprété comme s’opposant à ce qu’un contribuable ayant réalisé un échange de titres subisse un impôt différent de celui qui n’a pas échangé ses titres, d’une part, et reçoive des titres qui n’ont pas l’antériorité fiscale des titres échangés pour l’application des abattements pour durée de détention, d’autre part.

Nous espérons que le Conseil d’Etat acceptera d’interroger la CJUE ou, à tout le moins, d’attendre la réponse aux questions posées dans l’affaire Jacob avant de rejeter notre recours.