On se souvient qu’à l’occasion de plusieurs décisions (n° 2016-545 QPC et n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016, n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018), le Conseil Constitutionnel a jugé que les poursuites pénales pour fraude fiscales devaient être réservées aux cas les plus graves (https://blog.bornhauser-avocats.fr/index.php/2018/11/25/cumul-des-sanctions-fiscales-et-penales-en-cas-dabsence-de-declaration-nihil-novi-sub-soli/). Et que parmi les critères à prendre en compte pour apprécier la gravité des infractions commises figure le montant des droits fraudés.

Lorsque le Parlement a souhaité faire « sauter le verrou de Bercy », à savoir le monopole du Ministre du Budget sur la transmission des plaintes pour fraude fiscale au Parquet, il a voté à l’article L 228 du Livre des Procédures Fiscales l’obligation pour le fisc de transmettre automatiquement au Parquet les faits relatifs aux fraudes dont l’enjeu financier excède 100.000 € de droits en principal.

De nombreuses voix se sont élevées au cours des débats parlementaires pour dénoncer le montant ridiculement bas de ce plancher, particulièrement en ce qui concerne les entreprises. Lors de son audition par la commission d’enquête de l’assemblée nationale sur le « verrou de Bercy », le directeur fiscal d’une multinationale a même déclaré qu’en dessous de 100.000 € de droits, il n’était même pas informé de l’existence de redressements fiscaux dans une filiale.

Il n’est donc guère surprenant que l’Association Française des Entreprises Privées ait attaqué pour excès de pouvoir la Circulaire commentant l’article L 228 du LPF en assortissant son recours d’une QPC fondée sur le principe d’égalité devant la loi.

Le Conseil d’Etat lui ayant transmis la QPC par une décision n° 429742 du 1er juillet 2019, le Conseil Constitutionnel va donc avoir l’occasion de préciser la notion de « fraudes les plus graves » en décidant si le seuil de 100.000 € est suffisamment élevé ou au contraire insuffisant. S’il est insuffisant, c’est la loi qui va être censurée puisque contrairement au législateur, le juge constitutionnel maîtrise la gomme mais pas le stylo…