Responsabilité fiscale du dirigeant d’entreprise : Le Trésor Public doit débattre avant d’assigner
(TJ Grasse, 11 Mars 2021, n°20/04648 ; CA Lyon, 25 Mars 2021, n°19/01386)
L’article L. 267 du Livre des procédures fiscales (LPF) est un texte d’inspiration militaire qui institue un régime de condamnations systématiques au terme d’une procédure expéditive.
L’apparition dans le droit fiscal français d’un tel mécanisme de solidarité au paiement de l’impôt entre le dirigeant et son entreprise date de l’article 54 de l’ordonnance n° 58-1372 du 29 décembre 1958, intégré au Chapitre consacré à la « lutte contre la fraude ». Le Général de Gaulle, tout juste revenu au pouvoir, avait lui-même exposé la veille la philosophie de sa réforme : « Avec mon gouvernement, j’ai donc pris la décision de mettre nos affaires en ordre réellement et profondément… Nous avons adopté, et demain nous appliquerons tout un ensemble de mesures financières, économiques, sociales, qui établit la nation sur une base de vérité et de sévérité, la seule qui puisse lui permettre de bâtir sa prospérité ».
Mais depuis ces temps historiques, la relation entre l’administration et les citoyens s’est adoucie. Il est maintenant admis qu’en temps de paix, dans une démocratie moderne, les agents publics dialoguent avec les usagers avant de prendre une décision qui les concerne.
Ce bon principe a d’abord été affirmé de façon prétorienne par le Conseil d’Etat. Le législateur s’est décidé tardivement à codifier sa jurisprudence. Selon l’article L. 121-1 du Code des Relations entre le Public et l’Administration (CRPA) entré en vigueur le 1er Janvier 2016, toute décision administrative prise en considération de la personne est soumise au respect d’une procédure contradictoire préalable.
Nous soutenons que ces dispositions s’imposent au Comptable Public quand il envisage de poursuivre une personne sur le fondement de l’article L. 267 du LPF : il doit faire l’effort de dialoguer avant de l’assigner. À défaut, la procédure est nulle. Nous avons soutenu l’argument devant deux juridictions. En l’absence de toute jurisprudence concernant la combinaison entre les deux textes, le raisonnement que nous présentons aux juges repose sur une analyse des fondements doctrinaux, dont certains sont très anciens, du CRPA.
L’application de ces règles permettrait de faire vivre un débat qui pour le moment ne se déroule dans aucune enceinte. En effet, le juge n’a pas à prendre en considération la situation personnelle du dirigeant pour appliquer l’article L. 267 du LPF. Cette appréciation est laissée à la seule administration qui l’exerce sans aucun contrôle, en pure opportunité. Le dialogue n’est donc pas seulement nécessaire : il est indispensable.
En mars, une juridiction nous a donné raison, l’autre nous a donné tort. Le débat est ouvert !