Le 29 janvier dernier, le Conseil constitutionnel a rejeté la question prioritaire de constitutionnalité visant à déclarer inconstitutionnelles les dispositions de droit transitoire de la loi du 26 mai 2004 réformant le divorce. Voici, en quatre questions, la présentation de cette décision importante tant pour les époux adoptant le régime de la communauté universelle avec clause d’attribution intégrale au dernier vivant que pour les praticiens du droit patrimonial de la famille. 

  1. Quels sont les faits à l’origine de la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 29 janvier 2021 ? 

Des époux s’étaient mariés en 1983 sous le régime de la communauté légale. En 2001, ils avaient modifié leur régime matrimonial pour adopter la communauté universelle pour des raisons de transmission successorale et l’épouse avait apporté, sans clause de reprise d’apport ou de récompense, une somme de 46 millions d’euros à la communauté. En 2015, la cour d’appel de Versailles prononça le divorce aux torts de l’époux et refusa que l’épouse reprenne ses apports à la communauté, analysant ceux-ci comme un avantage matrimonial irrévocable, en application de la loi du 26 mai 2004 qu’elle estima applicable à l’espèce. En effet, l’assignation en divorce avait été déposée postérieurement au 1er janvier 2005. Un arrêt de la Cour de cassation du 6 juillet 2016 (Pourvoi n° 15-16.408) confirma l’application de la loi de 2004 en jugeant que… « la nouvelle loi a vocation à s’appliquer en toutes ses dispositions concernant les conséquences du divorce pour les époux, y compris celles afférentes au sort des avantages des époux ».En parallèle, l’épouse avait assigné le notaire en responsabilité pour défaut d’information et de conseil. Après le tribunal, la cour d’appel de Paris fit droit à sa demande et condamna le notaire à verser des dommages et intérêts pour perte de chance d’introduire dans l’acte de changement de régime une clause de reprise d’apport. Le notaire forma donc un pourvoi ainsi qu’une question prioritaire de constitutionnalité, transmise par la Cour de cassation le 5 novembre 2020 (Pourvoi n° 20-11.032). 

Le requérant soutenait que l’application de la loi de 2004 réformant le divorce à tous les avantages matrimoniaux consentis avant son entrée en vigueur portait atteinte à la Garantie des droits découlant de l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. En vertu de ce principe, en effet, le législateur ne saurait porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l’empire de textes antérieurs, sans motif d’intérêt général suffisant. 

Par une décision du 15 novembre 2019 (n° 2019-812 QPC), le Conseil constitutionnel a rejeté la QPC, considérant que les dispositions transitoires de la loi du 26 mai 2004 étaient constitutionnelles aux motifs suivants  :

  • L’objet des avantages matrimoniaux est seulement d’organiser pour les époux la vie commune pendant le mariage. L’évolution légale de leur révocation ne remet pas en question leur objet ;
  • Les règles de révocation de ces avantages relèvent du régime juridique des effets patrimoniaux du divorce, les justiciables devant dès lors s’attendre à ce qu’elles suivent les évolutions générales du droit du divorce, et notamment de la portée conférée à la faute ;
  • Les conjoints souhaitant se prémunir contre le risque d’une évolution de la législation peuvent décider par convention d’aménager les conditions de révocation de ces avantages matrimoniaux.  
  1. Qu’est-ce qu’un avantage matrimonial ? 

Un avantage matrimonial est, aux termes de l’article 1527 al. 1er du code civil, un… « des avantages que l’un ou l’autre des époux peut retirer des clauses de communauté conventionnelle ainsi que ceux qui peuvent résulter de la confusion du mobilier ou des dettes ». Dans le langage courant, l’avantage matrimonial correspond à un bénéfice procuré à l’un des époux, par le biais du fonctionnement du régime matrimonial, sans que cet époux ait fait l’objet d’une donation directe. L’avantage matrimonial résulte donc uniquement d’une clause du contrat de mariage et passe par la communauté. Ce n’est donc pas, juridiquement, une donation, même si la doctrine discute cette qualification de manière récurrente. Le terrain d’élection des avantages matrimoniaux est donc les régimes communautaires.  

L’adoption de la communauté universelle avec clause d’attribution intégrale au survivant s’analyse en un avantage matrimonial  : cette clause prévoit que l’ensemble des biens est attribué, lors de la dissolution de la communauté, à un des époux. Il s’agit d’un « gain de survie » qui bénéficie à l’époux survivant. 

  1. Que prévoit la loi du 26 mai 2004 sur les avantages matrimoniaux et quelles sont ses dispositions transitoires ? 

La loi du 26 mai 2004 réformant le divorce a modifié l’article 265 al. 1er du code civil qui prévoit désormais que… « le divorce est sans incidence sur les avantages matrimoniaux. Seuls sont révoqués de plein droit les avantages matrimoniaux qui prennent effet au cours du mariage et sur les donations quelle que soit leur forme ».

Cette disposition ne distingue pas entre les différents cas de divorce : le droit antérieur, quant à lui, prévoyait que l’époux aux torts exclusifs duquel le divorce avait été prononcé, de même que celui qui avait pris l’initiative du divorce pour rupture de vie commune, perdait de plein droit les avantages matrimoniaux procurés par le mariage. 

Le second alinéa de l’article 265 dispose que… « le divorce emporte révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial ou au décès d’un des époux et des dispositions à cause de mort accordées par un époux par contrat de mariage ou pendant l’union… ».  

La loi de 2004 est entrée en vigueur le 1er janvier 2005. Elle s’applique aux actions en divorce formées à compter de cette date. Toute assignation en divorce déposée avant cette date et jugée après relève du régime antérieur. L’arrêt de la Cour de cassation du 6 juillet 2016 précité a en outre jugé que cette loi s’appliquait immédiatement aux situations en cours et donc aux avantages matrimoniaux consentis avant son entrée en vigueur, peu important leur date de constitution.

  1. Quelle va être la suite de cette décision pour la pratique des professionnels du droit  ?

Cette solution est justifiée par la volonté de ne pas remettre en question tous les partages effectués depuis le 1er janvier 2005. Elle est néanmoins d’une certaine sévérité pour les praticiens. Afin d’éviter une telle incidence, il aurait été sage de prévoir lors de la modification du régime matrimonial un aménagement de l’avantage matrimonial : prévoir ainsi une « clause alsacienne » ou de reprise d’apport. Cette clause, fréquente en pratique, aurait permis à l’épouse de liquider son régime matrimonial comme une communauté légale et non comme une communauté universelle. 

Afin de se prémunir contre toute action en responsabilité professionnelle lors de la dispense de conseils en vue d’une transmission successorale, il est fortement recommandé d’envisager l’hypothèse d’un divorce préalable, même si cette éventualité est désagréable. Elle est aujourd’hui statistiquement plus probable que l’inverse…

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