(CAA Paris 5 avril 2023, n° 21PA00433)

On se souvient que le TA de Montreuil avait refusé de dégrever la part de l’exit tax correspondant aux prélèvements sociaux nonobstant le respect par le contribuable du délai de 8 ans après le transfert de son domicile fiscal hors de France (https://blog.bornhauser-avocats.fr/2020/12/prelevements-sociaux-et-exit-tax-anterieur-a-2014-un-jugement-decevant-du-ta-montreuil/).

Nous avions fait appel de cette décision et espérions de la Cour de Paris qu’elle fasse enfin application du droit communautaire. Malheureusement, la Cour a repris à son compte l’argumentation des premiers juges sans faire droit à nos demandes de transmettre à la CJCE deux questions préjudicielles.

Nous avions pourtant insisté à l’audience sur l’intérêt pour la Cour de recueillir l’avis de la CJUE car si le législateur avait bien pris en compte la décision Lasteyrie du saillant en octroyant un sursis de paiement automatique, le fait de ne pas dégrever une fraction de l’exit tax au terme du délai de conservation de 8 ans posait indiscutablement question au regard de la restriction qui en résultait. D’autant plus que cette différence de traitement entre impôt sur le revenu et prélèvements sociaux avait été subrepticement corrigée à compter de 2014, ce qui constituait une sorte d’aveu de la non-conformité du régime antérieur.

Nous avions insisté sur la portée de la décision que la Cour allait rendre car de nombreux contribuables ayant quitté la France n’ont réalisé qu’ils allaient devoir continuer à déposer des déclarations de suivi de leur exit tax ad vitam aeternam et que malheureusement pour eux, ils ne pouvaient plus contester les prélèvements sociaux car ils étaient forclos. En effet, l’impôt étant en sursis de paiement, il aurait fallu le contester – ce que nous avions fait – dans le délai général de l’article R* 196-1 du LPF. Et pour avoir une chance de réouvrir leur droit de réclamer, il leur fallait rendre exigible l’impôt en cédant les titres objets de l’exit tax. Avec une chance non négligeable que la cession ne soit pas pour autant considérée par le juge comme un « événement » au sens du c) de cet article.

Nous avions enfin exhorté la Cour à se saisir de son droit à poser des Questions Préjudicielles, droit qu’aucun juge de fond n’a exercé en matière fiscale en 2022 et dont les juridictions françaises n’usent qu’avec parcimonie, comme la CJUE l’a relevé dans son rapport publié le 3 mars 2023 sur son activité juridictionnelle en 2022. La France a en effet posé 4 fois moins de Questions Préjudicielles que l’Allemagne, trois fois moins que l’Italie et se situe globalement en 10ème position dernière notamment la Bulgarie, la Pologne, le Portugal et la Belgique…

Las. La Cour nous « renvoie dans nos 22 mètres » en adoptant un curieux raisonnement circulaire. Elle rappelle que l’exit tax étant une imposition de droit interne, elle n’a pas à respecter les principes du droit communautaire dès lors qu’elle est conforme à la liberté d’établissement. Or, tel est le cas puisque la loi prévoit un sursis de paiement automatique. Donc le principe de confiance légitime et de sécurité juridique, qui interdisent aux Etats-membres de faire rétroagir leur législation à une date antérieure à celle où le public a été averti de manière claire et non équivoque de l’évolution à venir de la législation, ne sont pas applicables en l’espèce.

Avec un tel raisonnement, on n’aurait jamais eu d’arrêt Lasteyrie du Saillant ! Le simple fait de transférer sa résidence fiscale hors de France fait intervenir les libertés communautaires de circulation des personnes et d’établissement. Ce n’est pas parce que le régime de l’exit tax serait conforme au droit communautaire que le législateur français pourrait l’instaurer ou le modifier sans respecter les principes du droit communautaire, dont celui de la confiance légitime et de la sécurité juridique. Cette question aurait à tout le moins mérité d’être posée à la CJUE.

Quant à l’absence de dégrèvement des prélèvements sociaux au bout de 8 ans, il s’agit clairement d’une mesure dissuasive qui pose donc la question de sa proportionnalité avec le but de l’exit tax, qui vise à dissuader les délocalisations temporaires à but essentiellement fiscal. Prétendre comme la Cour que la réponse est si évidente que l’opinion de la CJUE n’a même pas besoin d’être sollicitée est faire preuve d’une confiance en soi très excessive à laquelle le contentieux « Précompte », aurait dû mettre un terme. Rappelons que dans cette affaire, la CJUE a condamné la France en manquement parce que le Conseil d’Etat avait mal appliqué sa jurisprudence sans avoir estimé utile de lui demander son avis (CJUE 4 octobre 2018, aff. C 416/17, Commission c/ France). Cette attitude s’inscrit en revanche parfaitement dans la lignée de la théorie de « l’acte clair », qui a permis aux juridictions françaises d’entraver pendant des décennies l’application du droit communautaire.

Espérons que le Conseil d’Etat puisse connaître de ce contentieux et fasse preuve d’un peu plus « d’européanité » que les juges du fond