(CE 29 décembre 2021, n° 438856)

D’aucuns se plaignent régulièrement des jurisprudences qui mettent à mal la sacro-sainte connection fiscalo-comptable et ils ont bien raison. Mais il y a plus grave encore : les divergences entre les juridictions judiciaires et administratives, car elles nuisent sans raison à l’intelligibilité et la prévisibilité de la norme. Fort heureusement, elles sont de plus en plus rares car le dialogue de nos cours suprêmes, Conseil d’Etat et Cour de cassation, a contribué à les faire disparaître.


Il est toutefois un domaine où le Conseil d’Etat maintient contre vents et marées sa jurisprudence divergente de la Cour de cassation et, il faut le dire, contra legem : les conséquences fiscales de la cession d’un terrain en cours de bail à construction. Le juge administratif de l’impôt considère en effet qu’en cas de cession par le bailleur de son terrain en cours de bail, celui-ci récupère un instant de raison la propriété des constructions édifiées par le locataire et qu’il est donc de ce fait soumis à l’impôt sur le revenu correspondant au prix de revient desdites constructions (28 juillet 2011, n° 330824).


Pourtant, en matière de droits d’enregistrement, la chambre commerciale de Cour de cassation (12 juin 2012, n° 11-18.978) considère que la cession du terrain par le bailleur au profit du preneur n’entraîne pas la résiliation du bail et ne rend donc pas exigibles les droits de mutation à titre onéreux. Et force est de constater qu’au plan juridique, c’est le juge de l’impôt judiciaire qui a raison puisque la cession du terrain n’entraîne pas la résiliation du bail, mais son extinction par confusion sur la tête du locataire.
Ceux qui espéraient que le Conseil d’Etat tienne enfin compte de la jurisprudence de son alter ego judiciaire et abandonne la sienne en seront pour leurs frais. Dans une hypothèse encore plus évidente puisque bailleur et preneur cédaient en même temps leurs droits à un même tiers, qui acquerrait donc à la fois le terrain et les constructions auprès de leurs propriétaires respectifs, il vient de juger que l’opération devait s’analyser comme une cession du terrain et entraîner l’imposition du bailleur « alors même qu’elle constitue une cause d’extinction des obligations issues du bail par confusion des qualités de créancier et de débiteur en application des règles du droit civil » (CE 29 décembre 2021, n° 438856).


La théorie du retour gratuit « un instant de raison » avant la vente est donc validée et pire : son caractère contraire au droit est même pleinement assumé par le juge !


Parfois, on se demande vraiment si la raison n’a pas tout simplement disparue, et pas seulement un instant…