L’agitation médiatique autour du jugement rendu le 13 avril 2015 par le tribunal correctionnel de Paris dans l’affaire dite « Ricci » étant retombée, il est enfin possible d’aborder plus sereinement cette question. Et l’angle que nous avons choisi d’examiner s’écarte de celui des journalistes puisqu’il s’agit d’un aspect de pure technique juridique.

Le tribunal a condamné Madame Arlette Ricci pour ne pas avoir déclaré son compte en Suisse sur la base des informations transmises à la justice par Hervé Falciani, le célèbre informaticien devenu « lanceur d’alerte ». Elle a pour cela écarté l’argument de la défense selon lequel ledit Falciani avait volé à la Banque HSBC Private Banque Suisse les fichiers transmis par la justice et utilisés par l’administration fiscale. Et force est de constater que sur ce point, sa position est strictement conforme à la celle, constante, de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui ne voit nulle malice dans le fait que le juge puisse fonder son intime conviction sur des pièces obtenues de manière délictueuse (en dernier lieu et sur l’affaire dite « HSBC », Cass. crim. 27 novembre 2013, n° 13-85.042).

Cette position classique de la chambre criminelle nous avait conduit à l’époque à dissuader les personnes contrôlées par l’administration parce qu’ils étaient sur la liste « Falciani » de s’enferrer dans des dénégations stériles, voire contreproductives puisque les poursuites pénales, indépendantes des redressements fiscaux, aboutiraient sans nul doute à leur condamnation pour fraude fiscale. Et les décisions rendues par la chambre commerciale de notre cour suprême pour l’application de l’article L 16 B du LPF, qui avaient jugé que le juge de la liberté ne pouvait fonder une autorisation de pratiquer des visites domiciliaires sur la base de ces éléments du fait de leur origine illicite (Cass. com. 31 janvier 2012, n° 11-13.098 et 11-13.097), ne nous avait pas conduit à changer d’avis car la différence de position entre les deux chambres de la cour de cassation sur cette question était également bien connue.

Le bien-fondé de notre approche nous paraissait renforcé par la position du Conseil d’Etat, qui était sur la même ligne que la chambre criminelle puisqu’il admettait que des éléments volés puissent servir à asseoir un redressement (CE 6 décembre 1995, n° 126826, Section, SA Samep, n° 90914, Section, Navon). Le choix de collaborer avec le vérificateur nous semblait donc le plus judicieux, d’autant plus que l’administration savait encourager les bonnes volontés en accordant de larges remises d’amendes et de pénalités qui s’avéraient parfois plus intéressantes que ce qu’a ensuite prévu la Circulaire « Cazeneuve ».

Nier l’existence du compte risquait en revanche selon nous d’aboutir à ce que le contribuable soit condamné non seulement à payer les impôts éludés du fait de la détention de son compte non déclaré, mais également à une peine de prison et des amendes supplémentaires.

Toutefois, un élément nouveau est intervenu depuis, qui pourrait bien changer radicalement la donne : la réserve d’interprétation formulée par le Conseil Constitutionnel le 4 décembre 2013 (n° 2013-679 DC) sur la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, votée en conséquence de l’affaire dite « Cahuzac ».

Dans le paragraphe 33 de cette décision, le Conseil formule en effet la réserve suivante : « que ces dispositions ne sauraient, sans porter atteinte aux exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789, permettre aux services fiscaux et douaniers de se prévaloir de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judicaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge« .

Or, au moins un juge – la chambre commerciale de la Cour de cassation statuant en matière de visites domiciliaires dans ses arrêts du 31 janvier 2012 suscités – a considéré que les fichiers transmis par Hervé Falciani avaient été volés par ce dernier.

Il importe de noter que cette réserve d’interprétation a conduit le Conseil d’Etat à revenir sur sa jurisprudence précédente pour considérer dorénavant que des pièces obtenues de manière illicite ne pouvaient plus fonder un redressement (CE 15 avril 2015, n° 373269, Sté Car Diffusion 78).

Les juges du Tribunal Correctionnel de Paris en sont restés à une lecture classique de la jurisprudence. Les prévenus ayant fait appel, l’affaire sera rejugée et il est probable qu’elle sera finalement portée devant la Cour de Cassation si la décision est confirmée en appel. On verra alors si notre cour suprême appliquera ou non la réserve d’interprétation du Conseil Constitutionnel et comment, sachant qu’en cas de résistance, c’est la Cour Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme qui pourrait avoir le dernier mot.

En conclusion, le véritable enseignement de l’affaire Ricci, c’est que la question technique la plus intéressante n’a pas encore été tranchée.