Le trust est assurément un objet juridique que les praticiens du droit civil de tradition romano-germanique ont du mal à maîtriser. Alors qu’ils appréhendent parfaitement notre démembrement de propriété horizontal (usufruit/nue-propriété), le démembrement de propriété vertical du trust (trustee/bénéficiaire), où le trustee possède la propriété juridique et le bénéficiaire la propriété « en équité », les plonge dans un abîme de perplexité.


La cour d’Appel de Paris vient de l’apprendre à ses dépends dans une affaire où une résidente américaine avait constitué un trust qui désignait bénéficiaires des revenus ses trois enfants leur vie durant puis, au décès de sa fille, le capital revenait aux enfants de cette dernière pourvu qu’ils aient atteint l’âge de 35 ans.


La fille ayant eu la mauvaise idée de décéder en France, ses enfants ont prétendu qu’ils avaient recueilli la nue-propriété des biens au décès de leur grand-mère (donc sans droit de succession puisqu’à une époque l’article 750 ter alinéa 3 n’était pas encore entré en vigueur), de sorte qu’au décès de leur mère ils avaient recueilli son usufruit en franchise de droits.


Leur argument était imparable du point de vue du droit civil : un bien ne pouvant être sans propriétaire et le trustee n’en étant pas vraiment un, ils en étaient nécessairement devenus nus-propriétaires au décès de leur grand-mère.


Malheureusement pour eux, la Cour de cassation a fait application de sa jurisprudence traditionnelle consistant à analyser les effets juridiques du trust sans chercher à faire rentrer ce dernier dans les catégories habituelles du droit civil (par exemple, Cass. 1ère civ., 20 février 1996, n° 93-19.855; Zieseniss). Comme elle l’a déjà jugé le 15 mai 2007 (n° 05-18.268), elle a considéré que les petits-enfants n’avaient pas recueilli la nue-propriété des biens mis en trust au décès de leur grand-mère, mais que c’est la dissolution du trust qui a entraîné la mutation à titre gratuit du patrimoine de la grand-mère y affecté au profit de ses petits-enfants. C’est donc cette dernière opération qui avait constitué le fait générateur de la taxation.


Rendue sous l’empire du droit applicable avant la réforme de loi du 29 juillet 2011 organisant la taxation des biens mis en trust, cette décision ne semble nous éclairer que pour le passé. Depuis l’entrée en vigueur de l’article 792-0 bis du CGI, la loi prévoit qu’en cas de maintien du trust au décès du constituant, les bénéficiaires deviennent « réputés constituants » et les droits sont dus à cette date compte tenu du lien de parenté entre les bénéficiaires et le constituant initial.


Dans cette affaire, cette loi aurait permis aux petits-enfants de n’être taxés que sur la nue-propriété des biens en trust pour leur valeur au décès de leur grand-mère, alors qu’ils ont été taxés sur leur valeur en pleine propriété au jour du décès de leur mère, date de la dissolution du trust. Mais cet avantage est largement contrebalancé par le fait qu’aujourd’hui, les droits de succession sont réclamés aux bénéficiaires réputés constituants alors même qu’ils ne peuvent pas appréhender les biens en trust pour acquitter les droits de succession dus lorsque le trust est irrévocable et qu’il n’a pas prévu la faculté d’une distribution à cette fin.


Cette situation est-elle compatible avec le principe d’égalité devant les charges publiques protégé par l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ? Qu’il nous soit permis d’en douter…