Nous l’avions annoncé sur ce blog : en dépit de deux arrêts contraires du Conseil d’Etat, (CE, 10 juillet 2019, n° 47919 et CE 1ère Chambre, 29 juillet 2020, n° 430326) rendus sur des recours formés par d’excellents confrères, nous avions décidé de demander au juge judiciaire d’appliquer la réserve d’interprétation du Conseil Constitutionnel du 27 septembre 2018, relative au plafonnement des cotisations PUMA (QPC n° 2018-735).

Nous avons été entendus : le tribunal judiciaire d’Ajaccio, par deux décisions du 18 novembre 2020 (n° 19/00323 et n° 19/00324), a jugé que les cotisations contestées au titre des années 2016 à 2018 devaient bénéficier du plafonnement réservé par le législateur aux seules cotisations 2019.

Le tribunal a exactement relevé la portée d’une réserve d’interprétation :

« Une disposition législative ayant fait l’objet d’une réserve d’interprétation du Conseil n’existe dans l’ordre juridique interne que pour autant que la réserve est suivie d’effet ».

Or, avions-nous plaidé, la réserve d’interprétation du 27 septembre 2018 n’a été suivie d’aucun effet pour les cotisants 2016 à 2018 puisque le législateur a réservé aux seuls cotisants 2019 le bénéfice du plafonnement.

Puis le tribunal indique que… « la réserve d’interprétation émise par le Conseil Constitutionnel lorsqu’un texte est soumis à son contrôle s’incorpore à ce texte ».

Le juge fait ainsi écho au commentaire du Conseil Constitutionnel que nous lui avions rapporté :

« La réserve s’incorpore donc à la loi. Une disposition législative ayant fait l’objet d’une réserve d’interprétation du Conseil n’existe dans l’ordre juridique que pour autant que la réserve est suivie d’effets. » (Conseil constitutionnel, commentaire du 14 décembre 2002).

Une réserve d’interprétation constitutionnelle n’est pas une recommandation mais une décision qui, d’après la formule de René Cassin, a « l’autorité de la chose décidée ».

Qui doit sanctionner ce manquement à la Constitution ? L’URSSAF s’était prévalu des arrêts du Conseil d’Etat pour tenter de convaincre les tribunaux judiciaires que la violation de la loi suprême n’était pas son affaire.

Pour notre part, nous lui avions rappelé que selon l’article 62 de la Constitution, les décisions du Conseil Constitutionnel « s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. » Le Conseil d’Etat n’a donc aucune prévalence sur l’interprétation et l’exécution de ces décisions. Le juge judiciaire, juge de la cotisation sociale, doit exercer la plénitude de ses attributions sans être aucunement lié par les contingences du juge administratif. Les deux arrêts du Conseil d’Etat expriment l’analyse de cette haute et respectable juridiction. Ils n’ont ni pour objet ni pour effet de priver les tribunaux judiciaires de leur libre et juste appréciation de la réserve d’interprétation qui s’impose à eux.

Il appartient à tous les juges de ce pays d’appliquer la Constitution. C’est ce qu’a fait le juge d’Ajaccio et il faut espérer maintenant que sa jurisprudence bienfaisante s’étende à tout le pays.