On sait que le quasi-usufruit est un usufruit particulier qui s’exerce sur les biens dont on ne peut faire usage qu’en les consommant, comme l’argent, les graines, les liqueurs, etc.. L’article 587 du Code Civil prévoit que dans une telle hypothèse, l’usufruitier exerce son usufruit en consommant le bien en question, à charge pour lui de restituer au nu-propriétaire l’équivalent au terme de l’usufruit.

C’est le sort de cette créance de restitution qui vient de faire l’objet d’une décision de la chambre commerciale de la Cour de cassation : elle a jugé le 24 mai 2016 (n° 15-17.788) qu’elle était déductible des bases de l’ISF de l’usufruitier.

Or, si cette déduction était bien admise pour l’assiette des droits de succession du quasi-usufruitier (en dernier lieu, Cass. com. 27 mai 2015, n° 14-162), elle était refusée par l’administration (BOI-PAT-ISF-30-60-20, n° 50) et les juges du fond (CA Toulouse 10 décembre 2012, n° 11-04016 : RJF 3/13, n° 362) pour des motifs qui paraissaient fondés au moins en équité : la doctrine administrative relevait assez justement que la déduction à titre de passif de la valeur du bien objet du quasi-usufruit viderait de sa portée la règle selon laquelle l’usufruitier est imposable sur la valeur en toute propriété du bien.

Cela dit, ce n’est pas parce qu’un raisonnement est juste en équité qu’il est fondé en droit. Et la justification légale à cette interdiction, qui analyse l’obligation prévue à l’article 587 non comme une dette, mais comme une obligation future de restitution qui ne prend naissance qu’au terme de l’usufruit (le décès du quasi-usufruitier lorsque l’usufruit est viager), était à cet égard largement critiquable. En effet, même si elle n’est pas exigible, la dette est bien réelle et l’obligation ne naît pas de la survenance du terme de l’usufruit, mais de sa constitution.

La règle posée par notre Cour suprême doit donc être approuvée et sa publication au Bulletin ainsi que le fait que son expression n’avait que peu de rapport avec le litige dont elle était saisie – un problème de méthode de valorisation de parts sociales – lui confère selon nous la portée d’un arrêt de principe.

Il convient maintenant d’examiner la portée de cette jurisprudence non seulement pour le quasi-usufruitier, qui ne va lui trouver que des avantages, mais également pour le nu-propriétaire. Car il faut bien admettre avec l’administration que l’esprit de l’ISF risque d’en être singulièrement bouleversé : à partir du moment où une partie de la doctrine (Grimaldi, L’usufruit et le quasi-usufruit, questions de droit civil : Droit & Patrimoine novembre 1999, p. 55) estime qu’un quasi-usufruit peut être constitué par la volonté de l’homme sur des biens fongibles mais non consomptibles comme des valeurs mobilières, la tentation sera forte pour les usufruitiers de remplacer l’usufruit classique dont ils disposent par un quasi-usufruit, de sorte à réduire leur base taxable en déduisant leur dette de restitution.

Le seul moyen pour l’administration de retrouver à droit constant la base taxable ainsi disparue du patrimoine de l’usufruitier serait de taxer le nu-propriétaire sur sa créance de restitution. Mais il n’est guère évident que cette imposition soit juridiquement possible au regard de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui considère que si l’ISF doit être acquitté par l’usufruitier, c’est parce que lui seul bénéficie des revenus des biens démembrés (Décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998). Taxer le nu-propriétaire, quand bien même serait-il plein propriétaire d’une créance à terme de restitution, nécessiterait à tout le moins que le Conseil Constitutionnel revisite la notion de créance à terme qui a donné lieu à une décision récente (n° 2014-436 QPC) assez défavorable puisque les créances à terme ont été considérées comme taxables pour leur valeur nominale, sauf déconfiture du débiteur.

L’autre solution pour l’administration serait de modifier la loi applicable à l’ISF pour interdire la déduction de la créance de restitution de l’actif taxable de l’usufruitier. Dans cette hypothèse, il est peu probable que le Conseil Constitutionnel s’y oppose, sauf rétroactivité du texte et sur ce point seulement.

En conclusion, une décision intéressante dont les contribuables concernés ne devraient pas hésiter à tirer parti en cette période de déclaration de l’ISF, ainsi que pour les deux années précédentes par voie d’une réclamation contentieuse.