Depuis trois ans, nous soutenons que les textes instituant la cotisation subsidiaire maladie (CSM) sont contraires à plusieurs principes généraux de notre droit. Statuant dans les limites de sa compétence, le Conseil constitutionnel nous a partiellement entendu (CC n° 2018-735 QPC du 27 septembre 2018). Il a émis une réserve d’interprétation à laquelle le pouvoir règlementaire a été contraint de se plier en mettant en place un plafonnement de la cotisation. Mais, en dépit du refus du Conseil constitutionnel de différer les effets de sa décision et de la mise en garde de la Commission des finances du Sénat, le pouvoir règlementaire a décidé que cette mesure correctrice ne serait appliquée qu’à compter de 2020. Fait unique dans notre histoire constitutionnelle, les citoyens à l’origine de la contestation (nos clients) se trouvent ainsi privés du bénéfice de leur victoire contentieuse.

Nous avons donc poursuivi nos procédures devant le juge de la cotisation sociale. Les textes étant contraires à plusieurs normes supérieures, nous avons développé pour chaque cas individuel un grand nombre de moyens (huit et plus) justifiant la demande d’annulation. Le premier d’entre eux, relatif à la date d’appel des cotisations au-delà de la date butoir est de pure procédure : c’est celui qui a fait l’objet d’un arrêt de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation le 28 janvier 2021.

1. L’URSSAF viole le Code de la Sécurité Sociale

L’URSSAF n’a pas seulement appliqué des textes illicites ; elle a, dans la mise en œuvre de ces dispositions, contrevenu au I de l’article R.380-4 du CSS en adressant les appels de cotisation à une date postérieure à la date butoir du 30 novembre.

Selon ce texte : « la cotisation mentionnée à l’article L.380-2 est appelée au plus tard le dernier jour ouvré du mois de novembre de l’année suivant celle au titre de laquelle elle est due. Elle est exigible dans les trente jours suivant la date à laquelle elle est appelée ».

2. La défense de l’URSSAF et l’articulation du moyen immoral

Pour sa défense, l’URSSAF est partie dans deux directions principales.

D’abord a-t-elle soutenu, le cotisant ne peut établir que le défaut de respect de la date butoir lui a causé un grief, alors que l’exigibilité de la cotisation a été repoussée au mois de janvier. 

Ce premier argument est aisé à contrer. C’est en matière judiciaire que le demandeur à l’action en nullité doit établir que le manquement lui a causé un grief (article 114 du CPC). Or, notre contestation porte sur un acte qui en constitue le préalable.

Le second argument est celui que nous qualifions de moyen immoral : certes, soutient l’URSSAF, l’Organisme n’a pas respecté le délai qui lui était imparti ; mais l’article R.380-4 ne prévoit pas de sanction à son manquement et le juge ne peut suppléer à ce silence. L’argument est parfaitement immoral puisqu’il permet de transgresser une norme impérative. Il est malvenu de la part d’un Organisme dont la raison d’être est de poursuivre tout cotisant qui ne respecte pas scrupuleusement et à bonne date ses obligations sociales, parfois touffues. Dans les salles d’audience, le public, constitué de redevables retardataires, manifeste à chaque fois par de dicibles murmures son indignation lorsque le représentant de l’URSSAF explique que son Organisme ne peut, quant à lui, être sanctionné pour n’avoir pas respecté ses propres délais. Une norme juridique est faite pour être exécutée, c’est-à-dire réalisée en fait par une conduite conforme. L’auteur d’une norme juridique n’a donc pas à préciser la sanction qui s’attache à son inexécution.

3. Le jugement du TGI de Lille 

Le TGI de Lille a été le premier à se prononcer. Après avoir accueilli favorablement notre demande de transmission de la QPC, il a été ressaisi du dossier à notre retour du Conseil constitutionnel.

Il a retenu notre moyen de procédure par un jugement (TGI Lille, 14 mai 2019, n° 18/00818) très soigneusement motivé : un modèle du genre, repris partout in extenso et sans changement d’une seule virgule. En effet, de très nombreux confrères ont habilement repris cette jurisprudence et notre carte de France s’est couverte de petits drapeaux de la victoire : Clermont-Ferrand, Rouen, Créteil, Paris, Melun, Arras…

Il est ainsi jugé par ces Tribunaux, à la suite de Lille : « Le pouvoir réglementaire a choisi de limiter dans le temps la période pendant laquelle la CSM pouvait être appelée. Par un texte clair et dénué d’équivoque, il indique que la CSM doit être appelée au plus tard le dernier jour du mois de novembre. Passé ce délai, l’URSSAF n’est donc plus recevable à appeler la cotisation litigieuse ». 

4. Le moyen immoral de l’URSSAF soutenu devant la Cour de cassation

L’URSSAF a réagi en demandant la cassation du jugement de Lille par un moyen unique : le moyen immoral évoqué ci-dessus consistant à soutenir qu’un débiteur peut se dispenser du respect de son obligation si celle-ci est instituée par une norme qui ne prévoit pas de sanction à son manquement. L’auteur du pourvoi écrit ainsi qu’en l’absence de « la moindre sanction » prévue par le texte, « il s’ensuit que nulle forclusion ni nulle péremption n’étant envisagée afin de sanctionner un appel tardif, l’URSSAF demeure en droit d’appeler et de recouvrer la CSM y compris lorsqu’elle procède à cet appel au-delà de la date ainsi mentionnée ».

Notre avocat à la Cour de cassation, Marc Levis, l’a brillamment réfuté en convoquant le Léviathan de Hobbes : « it is manifest that law in general is not counsel (i.e. advice), but command » (p. 183) ; la loi ne donne pas un conseil, elle donne un ordre.

Marc Levis a fait une plongée dans l’histoire de notre droit, remontant jusqu’à Rome et aux compilations de Justinien pour démontrer la force ancienne de ce principe.

Le Parquet Général près la Cour de cassation a pris vigoureusement position contre le moyen immoral de l’URSSAF : « la loi juridique partage avec la loi morale une évidence : c’est sur celui qui a transgressé la norme que doit s’abattre la sanction. Admettre l’inverse transforme le droit en sophisme et l’éloigne tout simplement du sens commun ». 

Pour le représentant du Parquet, l’impunité de celui qui est convaincu d’avoir transgressé la loi ne se peut concevoir. « L’absence de sanction expresse attachée à une norme juridique n’entraîne pas l’absence de sanction mais suppose que soit nécessairement mis en œuvre la sanction adéquate qui permet que la partie qui aura transgressé la norme dont elle prétend à la mise en œuvre ne puisse tout simplement obtenir raison ».

Car, là est le point essentiel : celui qui transgresse la loi ne peut en tirer bénéfice.

Et faisant encore écho à un texte de Portalis : « il importe peu qu’aucune sanction expresse soit attachée à la méconnaissance d’un texte rédigé de manière impérative (…) l’existence d’une sanction est consubstantielle à un texte de loi ».

Sa conclusion s’impose : l’URSSAF ne peut recouvrer la somme contestée. Admettre l’inverse, affirme le Parquet, ce serait « au rebours de toute idée de justice », condamner « la partie innocente » et elle-seule au faux prétexte d’une absence explicite de sanction. Alors que « la sanction réside simplement dans l’impossibilité logique pour celui qui ne s’est pas conformé à l’injonction de la loi de s’en prévaloir ».

5. L’arrêt de la Cour de cassation

Par un arrêt du 28 janvier 2021 qu’elle ne juge pas digne d’être publié au Bulletin, la 2ème chambre civile de la Cour de cassation (n° G 19-22.255) procède à une lecture inattendue du I de l’article R.380-4 qui avait échappé à tout le monde, y compris à l’URSSAF.

La Cour de cassation ne reprend pas le moyen immoral. Elle casse pour violation de la loi pour un autre motif ainsi formulé : « le non-respect par l’organisme de recouvrement de la date limite mentionnée par ce texte a pour seul effet de reporter le délai au terme duquel la cotisation devient exigible ». 

Elle n’en dit pas plus. 

L’URSSAF ne peut donc plus soutenir que l’article R.380-4 ne prévoit aucune sanction en cas de non-respect de la date butoir. Cette sanction existe : l’Organisme est contraint de reporter la date d’exigibilité. Mais la reporter à quand ? La Cour de cassation ne le précise pas.

Fait-elle implicitement référence au délai d’un mois prévu à la seconde phrase du I de l’article R.380-4 cité ci-dessus ?

C’est impossible. Aucun argument de texte ne permet de réserver l’application de cette disposition au cas de dépassement de la date butoir.

Au contraire, cette disposition s’applique dans le seul cas prévu à la phrase qui le précède : lorsque l’URSSAF a respecté la date du 30 novembre. Elle ne peut s’appliquer, en revanche, en cas de défaut de respect de cette date. On ne peut traiter à l’identique le respect et le non-respect de l’obligation puisque, se conformant en cela aux conclusions du Ministère public et aux nôtres, la Cour de cassation n’a pas adopté la thèse du moyen immoral. 

Si elle l’avait adopté, la Cour de cassation aurait accueilli le pourvoi en indiquant, comme elle y était invitée, que le texte ne prévoyant pas de sanction, l’URSSAF peut donc le violer sans être sanctionnée. Or, elle s’y refuse. Au contraire, elle indique que la sanction (« le seul effet ») du non-respect de la date butoir est le report de la date d’exigibilité. La durée de ce report doit être supérieure à la durée du délai prévu en cas de respect de la date butoir. Si les deux délais sont identiques, il n’y a pas de sanction et le moyen immoral triomphe. 

Mais quelle doit être la durée de ce délai ? A notre sens, elle aurait dû être fixée par l’URSSAF sous le contrôle souverain des tribunaux et être suffisante pour permettre aux cotisants se croyant exonérés à tort de cette cotisation au soir du 30 novembre de payer ultérieurement cette dépense imprévue. 

Or, l’URSSAF a fixé ce délai au mois de janvier alors que l’appel tardif est daté de décembre : à l’évidence, ce délai était insuffisant.

Le report de délai étant, selon la 2ème chambre, « le seul effet » de l’appel de cotisation tardif, cette absence de report de délai à une date suffisamment éloignée doit être sanctionnée par l’annulation de l’appel de cotisation.

6. Ce que nous allons faire

Devant les juges du fond, nous allons continuer à soutenir le moyen de nullité pour créer les conditions d’une saisine de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation. Selon l’article L.431-6 du Code de l’organisation judiciaire, cette saisine est possible lorsque l’affaire pose une question de principe et s’il existe des solutions divergentes entre les juges du fond et la Cour de cassation. Il faut convaincre les juges du fond de ne pas changer de solution. 

Si nous adoptons cette position, c’est parce que nous pensons qu’en dépit d’une reformulation habile, l’arrêt de la 2èmechambre civile n’a pas rejeté avec suffisamment de netteté le moyen immoral de l’URSSAF. L’URSSAF va nous aider à faire cette démonstration quand elle soutiendra que la seconde phrase du I de l’article R.380-4 est invariablement applicable en cas de respect comme de non-respect de la date butoir.

Or, l’acceptation du moyen immoral n’est pas admissible car elle est la négation d’un État de droit. Cette question fondamentale, dont on sent bien qu’elle a mis la 2ème chambre civile dans l’embarras au point qu’elle n’a pas jugé son arrêt digne d’être publié dans son Bulletin, mérite d’être soumise à la Cour dans sa formation la plus solennelle. Il faudra lire à tous les magistrats les conclusions du Parquet Général près la Cour de cassation.

Accessoirement, nous ferons valoir que nos clients ont reçu des appels à payer leurs cotisations dès le mois de janvier. Nous soutiendrons que ce bref délai était insuffisant et que la cotisation doit être annulée de ce chef.

Et si en dépit de nos efforts, ce moyen de procédure, maintenant subdivisé en deux, est rejeté, nous présenterons aux juges nos sept moyens de fond.

Nous sommes déterminés à gagner le contentieux de la PUMA et à la disposition de tous nos confrères concernés par ces procédures.

nphilippe@bornhauser-avocats.fr